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DU TAB£>EAU DES MOEURS DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE, ET DE Là VIE DE HOUËEZ,
PAR M. PETITOT,
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J. p. AIIXAUD, QUAI VOLTAIRE, H"
UDOocxxin.
2 9ArR i974 I
I
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/
DON GARCIE
DE NAVARRE,
OU
LE PRINCE JALOUX,
COMÉDIE HÉROÏQUE
EN CINQ ACTES ET EN VERS,
Représentée à Paris , dans la salle du Palais - Rojral , le 4
iiéyrier i66i.
M oiuiiRi. a.
^
PERSONNAGES.
Don GARGIE, prince de Navarre, amant de done Blvire.
Do NE ELVIRE, princesse de Léon.
Don ALPHONSE, prince de Léon, cru prince de Gastille
sous le nom de don Sylve. Done IGNES, comtesse, amante de don Sylve, aimëe par
Maurëgat, usurpateur de l'Etat de Lëon. ËLISB, confidente de done Elvire. Don ALYAR, confident de don Garcîe^ amant d'Elise. Don LOPE, autre confident de don Garcie, amant d'Elise. DonPËDRE, ëcuyer d'Ignés. Un page de done Elvire. -
La seine est dans Astorgue , ville d'Espagne , dans le lo janme
de Léon. .
DON GARCIE
DE NAVARRE,
*
OU
LE PRINCE JALOUX.
ACTE PREMIER.
SCÈNE L
DONE ELVIRE, ÉLISE.
DONB ELVIRE.
Non, ce n'est point nn choix qui pour ces deux amants
Sut régler de mon>cœur les secrets sentiments;
Et le prince n'a point, dans tout ce qu'il peut être,
Ce qui fit préférer l'amour qu'il £iit paroître.
Don Sylve , comme lui, fit briller à mes yeux
Toutes les qualités d^un héros glorieux ;
Même éclat de vertus, joint à même naissance.
Me parloit en tous deux pour cette préférence;
Et je serois encore à nommer le vainqueur.
Si le mérite seul prenoit droit sur un cœur :
Mais ces chaînes du ciel qui tombent sur nos âmes
Décidèrent eu moi le destin de leurs flammes;
Et toute mon estime, égale entre les deux.
Laissa vers don Garcie entraîner tous mes vœux.
• ■ * -
4 DON GARCIE DE NAVARRE.
ÉLISE.
Cet amour que pour lui votre àstrè vous inspire N'a sur vos actions pris que bien peu d'empire, Puisque nos yeux, madame, ont pu long- temps douter Qui de ces deux amants vous vouliez mieux traiter.
DONE ELVIRE.
De ces nobles rivaux Tamoureuse poursuite  de fîcheux combats, Élise, m'a réduite. Quand je regardois Tun, rien ne me reprochoit Le tendre mouvement où mon âme penchoit ; Mais je me limputois à beaucoup d'injustice, Quand de l'autre à mes yeux s'ofiroit le sacrifice : Et don Sylve, après tout, dans ses soins amoureux. Me sembloit mériter un destin plus heureux. Je m'opposois encor ce qu'au sang de Castille Du feu roi de Léon semble devoir la fille. Et la longue amitié qui d'un étroit lien Joignit les intérêts de son pore et du mien. Ainsi, plus dans mon âme un autre prenoit place. Plus de tous ses respeas je plaignoisla disgrâce : Ma pitié, complaisante à ses brûlants soupirs, D un dehors favorable amusoit ses désirs, Et vouloit réparer, par ce foible avantage, Ce qu'au fond de mon cœur je lui faisois d'outrage.
ÉLISE.
Mais son premier amour que vous avez appris Doit de cette contrainte af&anchir vos esprits ; Et puisque avant ces soins où pour vous il s'engage
ACTE I, SCÈNE I. 5
Done Ignés de son cœur ayoit reçu l'hommage, Et que y par des liais aussi fermes que doux , L'amitié yousi unit cette comtesse et vous , Son secret révélé vous est une matière  donner à vos vœux liberté tout entière; Et vous pouvez sans crainte à cet amant confus D'un devoir d'amitié couvrir tous vos refus,
DONE EtVIRE.
il est vrai que j'ai lieu de chérir la nouvelle Qui m'apprit que don Sylve étoit un infidèle, Puisque par ses ardeurs mon cœur tyrannisé Contre elles à présent se voit autorisé, Qu'il en peut justement combattre les hommages, Et, saps scrupule, ailleurs donner tous ses suffrages. Mais enfin quelle joie en peut prendre ce cœur. Si d'une autre contrainte il soufire la rigueur; Si d'un prince jaloux l'éternelle foibfesse Reçoit indignement les soins de ma tendresse, Et; semble préparer, dans mon juste courroux. Un éclat à briser tout commerce entre nous?
ÉLISE.
Mais, si de votre bouche.il n^a point su sa gloire , Est-ce un crime pour lui que de n'oser la croire? Et ce qui d'un rival a pu.flatter les feux . L'autorise-t-il pas à douter de vos vœux?
DONE ELVIRE. ^ -
Non , nen^ de cette sotubre et lâcbô jalousie
6 DON GARCIE DE NAVARRE.
Rien ne peut excuser Tétrange frénésie; Et par mes actions je Fai trop informé Quil peut bien se flatter du bonheur d'être aîm^. Sans employer la langue, il est des interprètes X^ui parlent clairement des atteintes secrètes : Un soupir, un regard , une simple rougeur, Un silence est assez pour expliquer un cœur. Tout parle dans lamour ; et sur cette matière Le moindre jour doit être une grande lumière, Puisque chez notre se;s:e, ou Thonneur est puissant, On ne montre jamais tout ce que l'on ressent. J'ai voulu, je layoue, ajuster ma conduite, Et voir d'un œil égal l'un et l'autre mérite : Mais que contre ses yœux on combat vainement, Et que la différence est connue aisément De toutes ces faveuts qu'on fait avec étude, A celles où du cœur fait pencher Thabitude! D'ans les unes toujours on paroît se forcer; Mais les autres , hélas ! se font sans y penser, Semblables à ces eaux si pures et si belles Qui coulent sans effort des sources naturelles. Ma pitié pour don Sylve avoît beau l'émouvoir, Ten trahissois les soins sans m'en apercevoir; Et mes regards au prince, en un pareil martyre, En disoient toujours plus que je n'en voulois dire.
ÉLISE.
Enfin si les soupçons de cet illustre amant, Puisque vous le voulez , n'ont poiut de fondemjent ,
ACTE I, SCÈNE I. y
Ponr le moins font-ils foi d'une ftme Hen atteinte; Et d'antres chériroient ce qui fait votre plainte. De jaloux mouyements doivent être odieux ^ S'ils partent d'un amour <jtd déplatt à nos yeux : Mais tout' ce qu'un amant nous peut montrer d'alarmes Doit, lorsque nous l'aimons , avoir pour nous des charmes ; C'est par-là que son fou se peut mieux exprimer; Et plus il est jaloux , plus nous devons Faimer. Ainsi y puisqu'on votre âme un prince magnanime. • •
DONE ELVIRE.
Alil ne m'avance^ point cette étrange maxime : Partout la jalousie est un monstre odieux; Rien n'en peut adoucir les traits injurieux^ Et plus l'amour est cher qui lui donne naissance, Plus on doit ressentir les coups de cette offense Voir un prince emporté , qui perd à tous moments Le respect que l'amour inspire aux vrais amants^ Qui , dans les soins jaloux où son âme se noie y Querelle également mon chagrin et ma joie^ Et dans tous mes regards ne peut rien remarquer Qu'en JÈiveur d'un rival il ne veuille expliquer. . . î; Non j non , par ses soupçons je suis trop offensée y. Et sans déguisement je te dis ma pensée : Le prince don Garcie est cher à mes désirs , n peut d'un cœur illustre échauffer les soupirs;. Au milieu de Léon on a vu son courage Me donner de sa flammé un noble témoigna^^ Braver en ma Êiveur les périls les {dus grands^
8 DON GARQIE DE NAVARRE.
AFenlçyer anï desseins de noâ lâches tyrans ,
Et , dans ses murs forcés , Imettre^ dia destinée
A couvert ({es horreurs d'un indigne hyménée :
Et je ne cèle point que j'àurôis de l'ennui
Que la globe eti fut:due à quelque autre que l'ai ;
Car un cœur amoureux prend un plaisir extrême
A se voir redevable, Élise ^ à ce qu'il aime;
Et sa flamme timide ose mieux éclater .
Lorsqu^en Êivorisant elle croit s'acquitter.
Oui^ j aime qu un secours qui hasarde sa tête
Semble à sa passion donner droit de conijuéte; \ !
J'aime que mon péril m'ait jetée en ses mains,
Et si les bruits coinmuhs ne sont pas des bruits vains,
Si la bonté'du ciel nous ramène mon frère,
Les vœux les phis ardents que mon cœur puisse fairte ,
C'est que son bras encor sur un perfide sang
Puisse ^ider à ce frère à reprendre son rang^
Et par d'heureux succès d'une haute ^vaillance
Mériter tous les soins de sa reconnoissance.
Mais avec tout oela , sll pousse mon courrpujjc ,
S^il ne purge ses feux de leurs transports jaloux,
Et ne les range aux lois que je lui veux prescrire,
C'est inutilement qu'il prétend done Elvire :
L^hymen ne peut nous joindre; et j'abhorre des nœuds
Qui deviendroient sans douté un enfer pour tous deux,
ÉLISE.
Bien que Fon pût avoir des sentiments tout autres, C^est au prince, madame, à se régler aux vôl;res;
ACTE I, SCÈNE I. 9
Et dans votre billet ils sont si bien marqués, Que , quand 3 les verra de la sorte expliqués. . .
DONE ELVIRE.
Je n'y veux point , Elise, employer cette lettre; C'est un soin qu^à ma bouche il me vaut mieux commettre ; La faveur d un écrit laisse aux mains d'un amant Des témoins- trop constants de notre attachement :
Ainsi donGèmpâch'ez qu^àu prince oh ne la livre.
- • • « ' • »
ELISE»
• "■ • • . • •
Toutes vos volontés sont des lois qu'on doit suivre.
Jadmire cependant que le ciel ait jeté
Dans le goût des esprits tant de diversité ,
Et que ce que les uns regardent comme outrage
Soit vu par d^autres yeux sous lin autre visage.
Pour moi j je trouverois mon sort tout-à-fait doux
Si j avois un amant qui pût être jaloux ; '
Je saurois m'applaudir de son inquiétude :
Et ce qui pour mon âme est souvent un peu rude ,
C'est de voir don Alvar ne prendre aucun souci. . .
• • ■ ■ ' ! ■
r
DONE ELVIRE. .
Kous ne le croyions pas si proche; le voicL .
SCÈNE II.
DONE ELVIRE, DON ALVAR, ÉLISE.
.'DONE ELVIRE.
Votre retour surprend :qu'avez-vous à m'âpprendre-î Pon Alphonse vient-il? a-t-oti lieu de ralteudre ?
10 DON GARCIE DE NAVARRE.
D. ALYAR.
Oui, madame; et ce bère en CastiUe élev£ De rentrer dans ses droits voitle temps arrivié, JusqnHci don Louis , qui yit à sa pradence Par le feu roi mourant commettre son enfance ^ A caché ses destins aux yeux de tout FEtat, Pour Fôter aux fureurs du traître Maurégat: Et bien que le tyran , depuis sa lâche audace , L^ait souvent demandé pour lui rendre sa place ^ Jamais son zèle ardent n'a pris de sûreté A l'appât dangereux de sa fausse équité : Mais 9 les peuples émus par cette violence Que vous a voulu faire tme injuste puissance. Ce généreux vieillard a cru qu'il étoit temps D'éprouver le succès d'un espoir de vingt ans : n a tenté Léon , et ses fidèles trames Des grands comme du peuple ont pratiqué les âmes, Tandis que la Castille armoit dix mille bras Pour redonner ce prince aux vœux de ses États 5 n fait auparavant semer sa renommée, Et ne veut le montrer qu'en tête d'une armée, Que tout prêt à lancer le foudre punisseur Sous qui doit succomber un lâche ravisseur. ' On investit Léon , et don Sylve en personne Commande le secours que son père vous donne.
DOIfE ELVIRE.
Un secours si puissant doit flatter notre espoir;' Mais je crains que mon frère y puisse trop devoir.
-t
0
ACTE I, SCÈNE IL H
D. ALYÀR.
Mais, madame, admirez que, malgré la tempête Que votre usurpateur voit grouder sur sa tète, Tous les bruits de Léon annoncent pour certain: Qu'à la comtesse Ignés il va donner la main.
DONi: ELVIRE.
n cbercbe dans lliymen de cette illustre fille L'appui du grand crédit où se voit sa famille. Je ne reçois rien d'elle, et j'en suis en souci; Mais son cœur au tyran fut toujours endurci.
iLISE.
De trop puissants motifs d'bpnneur et de tendresse Opposent ses refus aux nœuds dont on la presse. Pour....
D. A&VAR.
Le prince entre ici.
SCÈNE III.
D. GARCIE, DONE ELVIRE, D. ALVAR, ÉLISE.
D. GARCIE.
Je viens m'intéresser, IVbdame', au doux espoir qu'il vous vient d'annoncer. Ce frère, qui menace un tyran plein de crimes , Flatte de mon amour les transports légitimes : Son sort ofEre à mon bras des périls glorieux Dont je puis faire bommage à l'éclat de vos yeux, Et par eux m'acquérir^ si le ciel m'est propice^
la DON GARCIE DE NAVARRE.
La gloire d'un revers que vous doit sa justice,
Qui va faire à vos pieds choir Tinfidélité ,
Et rendre â votre sang toute ^ dignité.
Mais ce qui plus me plaît d^une attente si chère,
C'est que, pour être roi, le ciel vous rend ce frère;
Et qu^ainsi mon amour peut éclater au moins .
Sans qu a d'autres motifs on impute ses soins,
Et qu'il soit soupçonné que dans vQtre personne
Il cherche à me gagner les droits dune couronne.
Oui , tout mon cœur voudroit montrer aux yeux de tou$
Qu'il ne regarde en vous autre chose que vous :
Et cent fois, si je puis le dire sans offense ,
Ses vœux se sont armés contre votre naissance;
Leur chaleur indiscrète a d'un destin plus bas
Souhaité le partage à vos divins appas ,
Afin que de ce cœur le noble sacrifice
Pût du ciel envers vous réparer Tin justice.
Et votre sort tenir des mains de mon amour
Tout ce qu'il doit au sang dont vous tenez le jour.
Mais puisque enfin les cieux de tout ce juste hommage
A mes feux prévenus dérobent l'avantage,
Trouvez bon que ces feux prennent un peu d'espoir
Sur la mort que mon bras s'apprête à faire voir,
Et qu'ils osent briguer par d'utiles services
D'un frère et d un État les suffrages propices.
DONE ELVIRE.
Je sais que vous pouvez, prince, en vengeant nos droits. Faire par votre amour parier cent beaux exploi Is ;
ACTE I, SCÈNE III. i3
Mais ce n^est pas assez pour le prix qu'il espère
Que l'aveu d'un État et la faveur d*un frère;
Done Elvire n'est pas au bout de cet effort , i
Et je vous vois à vaincre un obstacle plus fort.
D. GARCIE.
Oui, madame, j'entends ce que vous voulez dire.
Je sais bien que pour vous mon cœur en vain soupire; .
Et Tobstacle puissant qui s'oppose à mes feux,
Sans que vous le nommiez, n'est pas secret pour eux.
DONE ELVIRE.
Souvent on entend mal ce qu'on croit bien entendre ^ Et par trop de chaleur, prince, on se peut méprendre* Mais , puisqu'il &ut parler, désirez-vous savoir . Quand vous pourrez me plaire et prendre quelque espoir 7
D. 04RGIE.* * j'
Ce me sera, madame, une faveur extrême.
DONE ELVIRE.
Quand vous saurez m'aimer comme il faut que Ton aime.
D. GARCIE.
Et que peut-on , hélas I observer sous les deux Qui ne cède à l'ardeur que m'inspirent vos yeux ?
»
DONS ELVIRE.'
Quand votre passion ne fera rien paroître Dont se puisse indigner celle qui Ta fait naître.
D. GARCIE.
.C'est là son plus grand soin.
i4 DON GARCIE DE NAVARRE.
DONE EliVlRE.
Quand tous ses mouvements Ne prendront point de moi de trop bas sentiments.
D. G^ARGIE.
Ils vous révèrent trop.
DONE ELVIRE.
Quand d'un injuste ombrage Votre raison saura me réparer l'outrage, Et que vous bannirez enfin ce monstre affi*eux Qui de son noir venin empoisonne vos feux ; Cette jalouse humeur, dont Fimportun caprice Aux vœux que vous m^ojQtez rend un mauvais office, S'oppose à leur attente, et contre eux à tous coups Arme les mouvements de mon juste courroux.
D. GARCIE.
Ahl madame, il est vrai, quelque effort que je &5se,
Qu'un peu de jalousie en mon cœur trouve place,
Et qu un rival absent de vos divins appas
Au repos de ce cœur vient livrer des combats.
Soit caprice ou raison, j'ai toujours la croyance
Que votre âme en ces lieux souffire de son absence,
Et que, malgré mes soins, vos soupirs amoureux
Vont trouver à tous coups ce rival trop heureux.
Mais , si de tels soupçons ont de quoi vous déplaire,
Il vous est bien facile, hélas! de m y soustraire;
Et leur bannissement, dont j'accepte la loi,
Dépend bien plus de vous qu^ ne dépend de moi.
Oui , c'est vous qui pouvez , par deux mots pleins de flamme, '
ACTE I, SCÈNE lU i5
Contre la jalousie armer tonte mon âme. Et y des pleines clartés d'an glorieux espoir, Dissiper les horreurs que ce monstre y &it choir. Daignez donc étouffer le doute qui m'accable, Et faites qu'un ayeu d'une bouche adorable Me donne l'assurance, au fort de tant d'assauts, Que je ne puis trouver dans le peu que je vaux.
nONE ELVIRE.
Prince, de vos soupçons la tyrannie est grande.
Au moindre mot qu'il dit un cœur veut qu on l'en Vende ,
Et n'aime point ces feux dont Fimportunite
Demande qu^on s'expb'que avec tant de clarté.
Le. premier mouvement qui découvre notre âme
Doit dW amant discret satis&ire la flamme;
Et c'est à s'en dédire autoriser nos voeux
Que vouloû* plus avant pousser de tels aveux.
Je ne dis point quel choix, s'il m'étoit volontaire,
Entre don Sylve et vous mon âme pourroit faire :
Mais voulob vous contraindre à n'être point jaloux
Auroit dit quelque chose à tout autre que vous ;
Et je croyois cet ordre un assez doux langage
Pour n'avoir pas besoin d'en dire davantage.
Cependant votre amour n^est pas encor content ;
il demande un aveu qui soit plus éclatant ;
Pour Fôter de scrupule, il me Êiut à vous-même,
En des termes exprès, dire que je vous aime;
Et peut-être qu'encor, pour vous en assurer,
Vous vous obstineriez à m'en faire jurer.
i6 DON GÂRCIE DE NAVARRE.
D. GARCIE.
Hé bieni madame, hé bien! je suis trop téméraire; De tout ce qui vous plait je dois me satisfaire. Je ne demande point de plus grande clarté : Je crois que vous avez pour moi quelque bonté ^ Que dW peu de pitié mon feu vous sollicite^ Et je me vois heureux plus que je ne mérite. Cen est fait, je renonce à mes soupçons jaloux; L*arrêt qui les condamne est un arrêt bien doux, Et je reçois la loi qu^il daigne me prescrire Pour affiranchir mon cœur de leur injuste emphre.
DONE ELYIRE.
Vous promettez beaucoup, prince; et je doute fort Si vous pburrez sur vous faire ce grand effort.
n. GARGIE.
Ah! madame, il suffit, pour me rendre croyable, Que ce qu on vous promet doit être inviolable, Et que rheuf d'obéir à sa divinité Ouvre aux plus grands efforts trop de facilité. Que le ciel me déclare une étemelle guerre. Que je tombe à vos pieds d'un éclat de tonnerre^ Ou, pour périr encor par de plus rudes coups, Puissé-je voir sur moi fondre votre courroux, Si jamais mon amour descend à la foiblesse De manquer au devoir d'une telle promesse,. Si jamais dans mon âme aucun jaloux transport Fait. .A
/■
ACTE I, SCÈNE IV. 17
SCÈNE IV.
DONE ELVIRE, D. GARCIE, D. ALVAR, ÉLISE5
UN PAGE^ PRÉSENTAIfT U» BILLET A DOHTE ELVIRE.
DONE ELVIRE.
J'en étois en peine, et tu m'obliges fort* Que le courrier attende. *-
SCÈNE V.
I
DONE ELyiRE, D. GARCIE^ D. ALVAR, ÉLISE.
DONE ELVIRE^ bas, à part.
A ces regards qu'il jette , Vois -je pas que déjà cet écrit Tinquiète? Prodigieux effet de son tempérament !
( haut. )
Qui vous arrête, prince, au Inilieu du serment?
D. GARCIE. I
J'ai cru que vous aviez quelque secret ensemble, Et je ne voulois pas Finterrompre.
DONE ELVIRE.
Il me semble Que VOUS me répondez d'un ton fort altéré. Je vous vois tout à coup le visage égaré. Ce changement soudain a lieu de me surprendre : D'où peut-il provenir? le pourroit-on apprendre ?
D. GARCIE.
D'un mal qui tout à coup vient d'attaquer mon cœur.
MoLiknc 2. %
i8 DON GARCIE DE NAVARRE.
DONE ELVIRE.
Souvent plus qu'on ne croit ces maux ont de rigueur, Et quelque prompt secours vous seroit nécessaire. Mais encor, dites-moi, vous prend-il d'ordinaire?
D. GARCIE.
Parfois.
DONE ELVIRE.
Ahl prince foible, hé bien ! par cet écrit, Guérissez-le ce mal; il n'est que dans l'esprit.
n. GARCIE.
Par cet écrit, madame? Ah! ma main le refuse. Je vois votre pensée, et de quoi l'on m accuse. Si. . .
DONE ELVIBE.
Lisez-le, vous dis- je, et satisfaites- vous.
D. GARCIE.
Pour me traiter après de foible , de jaloux ? Non, non : je dois ici vous rendre un témoignage Qu à mon cœur cet écrit n'a point donné d'ombrage; Et, bien que vos bontés m'en laissent le pouvoir, Pour me ^justifier je ne veux point le voir.
nONE ELVIRE.
Si vous vous obstinez à cette résistance, J'aurois tort de vouloir vous faire violence; Et c est assez enfin que vous avoir pressé De voir de quelle main ce billet m'est tracé.
D. GARCIË.
Ma volonté toujours vous doit être soumise.
ACTE I;, SCÈNE V. 19
Si c'est votre plaîsîr que pour vous je le lise , Je consens volontiers à prendre cet emploi.
DONE ELVIRE.
Oui, oui 9 prince^ 1;enez, vous le lirez pour moi.
D. GARGIE.
C^est pour vous obéir au moins; et je puis dire. , .
DONE ELVIEE.
C'est ce que vou^ voudrez ; dépéchez-vous de lire*
D. GARCIE.
Il est de donc Ignés, à ce que je connoi.
DONE ELVIRE.
Oui. Je m'en réjouis et pour vous et pour moi.
D. GARGIE Ut,
« Malgré Feffort d'un long mépris, « Le tyran toujours m aime; et, depuis votre absence, « Vers moi , pour me porter au dessein quHl a pris , « n semble avoir tourné toute sa violence, ce Dont â poursuivait l'aUiance « De vous et de son fils. « Ceux qui sur moi peuvent avoir empire, «Par de lâches motifs qu'un faux honneur inspire,
« Approuvent tous cet indigne lien. K Jignore encor par où finira mon martyre; « Mais je mourrai plutôt que de consentir rien. « Puissiez -vous jouir, belle Elvire, « D'un destin plus doux que le mien!
« D. Ignbs. » Dans la haute vertu son âme est affermie.
\
.*
îto DON GARCIE DE NAVARRE.
DONS ELVIRE.
Je vais faire réponse à cette illustre amîe* Cependant apprenez , prince , à vous mieux armer Contre ce qui prend droit de vous trop alarmer. J'ai calmé votre trouble avec cette lumière j Et la chose a passé dWe douce manière; Mais^ à n^en point mentir, il seroit des moments Où je pourrois entrer en d autres sentiments.
D. GARCIE.
Hé quoi ! vous croyez donc. . . ?
DONE ELVIRE.
Je crois ce qu il faut croire. Adieu. De mes avis conservez la mémoire ; Et, s'il est vrai poux moi que votre amour soit grand, Donnez -en à mon cœur les preuves qu'il prétend»
D. GARCIE.
Croyez que désormais c'est toute mon envie, Et qu'avant d'y manquer je veux perdre la vie.
Flir DU PREMIER ACTE.
DON GARGIE DE NÂVARRC:. v
N^»^«^»^» ^ '<» i^i^^l^P^» #«i^^^»
ACTE SECOND.
SCÈNE I.
ÉLISE, D. LOPE:
, »
ELISE.
To UT ce que fait le priDce , à parler franchement,
N^est pas ce*qui me donne un grand étonnement;
Car, que d'un noble amour une âme bieo saisie
En pousse les transports jusqu^â la jalousie,
Que de doutes fréquents ses vœux soient traversés,
Il est fort naturel, et je lapprouve assez :
Mais ce qui me surprend, don Lope, c'est d entendre
Que Yous lui préparez les soupçons qu^il doit prendre;
Que votre âme les forme, et quil n'est, en ces lieux,
y
Fâcheux que par vos soins, jaloux que par vos yeux. Encore un coup, don Lope, une âme bien éprise . Des soupçons quelle prend ne me rend point surprise ; Mais qu^on ait sans amour tous les soins d W jaloux , C'est un,e nouveauté qui n'appartient qu'à vous*
D. LOPE.
Que sur cette conduite à son aise l'on glose! Chacun règle la sienne au but qu'il se propose ; Et, rebuté par vous des soins de mon amour , Je songe auprès du prince' à bien faire ma cou,r.
aa DON GARCIE OE KAYAk^R*.
ÉLISE.
Mais sâvez-Yous qu^eufin il fera mal la sienne,
S'il faut qu eh cette humeur votre esprit reiitretienne?
D. LOPE.
Et quand, charmante Elise, a-t-on vu, s'il vous plaît,
Qu'on cherche auprès des grands que son propre intérêt;
Qu'un parfait courtisan veuille charger leur suite
D'un censeur des défauts qu on trouve en leur conduite,
Et s'aille inquiéter si son discours leur nuit,
Pourvu que sa fortune en tire quelque finiit?
Tout ce qu'on &it ne va' qu'à se mèitre en lèiir grâce i
Par la plus courte voie on y ôherche une place;
Et les plus prompts moyens de gagner leur faveur,
C'est de flatter toujours le foible de leur cœur,
D'applaudir en aveugle à ce qu'ils veulent faire,
Et n'appuyer jamais ce qui peut leur déplaire :
C'est U le vrai secret d'être bien auprès d eux.
Les utiles conseils font passer pour fâcheux.
Et vous laissent toujours hors de la confidence.
Où vous jette d'abord l'adroite complaisance.
Enfin on voit partout que l'art des courtisans
Ne tend qu'à profiter des foiblesses des grands,
A nourrir leurs erreurs, et jamais dans leur âme
Ne porter les avis des choses qu'on y blâme.
Ces maximes un telnps leur peuvent succéder :
Mais il est des revers qu'on doit appréhender,
Et dans l'esprit des grands, qu'on tâche de surprendre.
ACTE II, SCÈNE I. a3
Un rayon de lumière à la fin peut descendre , Qui sur, tous ces flattleurs venge, équitablement Ce qu'a Eut à leur gloire un long ayeuglement« Cependant je dirai que votre âme s'explique Un peu bien librement sur votre politique ; Et ces nobles moti&, au prince rapportés, Serviroient assez mal vos assiduités.
n. LOPE.
Outre que je pourrois d^avouer sans blâme
Ces libres vérités sur quoi s'ouvre mon âme y
Je sais fort bien qu Elise a l'esprit trop discret
Pour aller divulguer cet entretien secret.
Qu'ai-je dit, après tout, que sans moi Ton ne sache ?
Et dans mon procédé que fautnil que je cache?.
On peut craindre une chute avec quelque raison ,
Quand on met en usage ou ruse ou trahison :
Mais qu aî-je à redouter, moi qui partout n'avance
Que les soins approuvés d'un peu de complaisance ,
Et qui suis seulement par d^utîles leçons
La pente qu'a le prince à de jaloux soupçons?
Son âme semble en vivre, et je mets mon étude
A trouver des raisons à son inquiétude ,
A voir de tous côtés s'il ne se passe rien
A fournir le sujet d'un secret entretien;
Et quand je puis venir,, enflé d'une nouvelle ,
Donner à son repos mie atteinte mortelle,
C'est lors que plus il m'aime, et je vois sa raison
P'une audience avide avaler ce poison.,
24 DON GARCIE DE NAVARRE.
Et m'en remercier comme d*une victoire
Qui combleroit ses jours de bonheur et de gloire. . .
Mais mon rival paroit, je vous laisse tous deux :
Et, bien que je renonce à Fespoir de vos vœux,
Jaurois un peu de peine à voir qu'en ma présence
Il reçût des effets de quelque préférence;
Et je veux j si je puis, m'épargner ce souci.
ÉLISE.
Tout amant de bon sens en doit user ainsi.
SCÈNE U.
D. ALVAR, ÉLISE.
n. ALVAR.
Enfin ftous apprenons que le roi de Navarre Pour les désirs du prince aujourd'hui se déclare, Et qu'un nouveau renfort de troupes nous attend Pour le fameux service où son amour prétend. Je suis surpris , pour moi , qu'avec tant de vitesse On ait fait avancer. . . Mais. . .
SCÈNE IIL
D. GARCIE, ÉLISE, D. ALVAR.
D. GARCIE.
QiTE fait la princesse?
ÉLISE.
Quelques lei£r23, seigneur, je le présume ainsi. Mais elle va savoir que vous êtes ici.
D. GARCIE.
^attendrai qu'elle ait fait.
ACTE II, SCÈNE IV. 23
SCÈNE IV.
D. GARCIE.
Près de souffirir sa vue, Dun trouble tout nouveau je me sens Fâme émue, Et la crainte , mêlée à mon ressentiment , Jette par tout mon corps un soudain tremblement. Prince , prends garde au moins qu'un aveugle caprice Ne te conduise ici dans quelque précipice, Et que de ton esprit les désordres puissants Ne donnent un peu trop au rapport de tes sens : Consulté ta raison, prends sa clarté pour guide; Vois si de tes soupçons l'apparence est solide : Ne démens pas leur voix ; mais aussi garde bien Que, pour les croire trop, ils ne t'imposent rien. Qu'à tes premiers transports ils n'osent trop permettre, Et relis posément cette moitié de lettre. Ah! qu'est-ce que mon cœur, trop digne de pitié, Ne voudroit pas donner pour son autre moitié! Mais , après tout , que dis^ je ? il suffit bien de Tune , Et n'en voilà que trop pour voir mon infortune.
« Quoique votre rival. . . « Vous devez toutefois vous, . . - « Et vous avez en vous à. . . ce L'obstacle le plus grand. . .
a Je chéris tendrement ce. . . « Pour me tirer des mains de. . .
a6 DON GARCIE DE NAVARRE.
« Son amour, ses devoirs. • • « Mais il m'est odieux avec. • .
« Otez donc à vos feux ce. . • « Méritez les regards que Ton. . • « Et lorsiju'on vous oblige. . . <c Ne vous obstinez point à. . . »
Oui, mon sort par ces mots est assez éclairci; Son cœur, comme sa main, se fait connoitre ici, Et les sens imparfaits de cet écrit funeste Pour s'expliquer à moi n'ont pas besoin du reste. Toutefois dans Tabord agissons doucement, Couvrons à l'infidèle un vif ressentiment; Et, de ce que je tiens ne donnant point d'indice, Confondons son esprit par son propre artifice. La voici. Ma raison, renferme mes transports, Et rends-toi pour un temps maitresse du dehors.
SCÈNE V.
DONE ELVIRE, D. GARCIE.
DONE ELVIRE.
Vous avez bien voulu que je vous fisse attendre.
D. GARCIE, bas ^ à paru AL I qu'elle cache bien. . . !
DONE ELVIRE.
On vient de nous apprendre Que le roi votre père approuve vos projets,
ACTi; II, SCtNE V. ay
Et veut bien que son fils nous rende nos sujets ; Et mon âme en a pris une allégresse extrême.
9. 6ARGÎB.
Oui, madame , et mon cœur s en réjouit de même ; Mais...
DONE ELVIRE.
Le ^an , sans doute , aura peine à parer Les foudres que partout il entend murmurer; Et j'ose me flatter que le même courage Qui piit bien me soustraire à sa brutale rage, Et dans les murs d'Âstorgue , arrachée à ses maitis. Me faire un sûr asile à braver ses desseins, Pourra, de tout Léon achevant la conquête, Sous ses nobles efforts faire choir cette tête.
D. GAROIE.
Le succès en pourra parler dans quelques jours. Mais, de grâce, ^passons à quelque autre discours. Puis-j^ , sans trop oser, vous prier de me dire A qui vous avez pris , madame , soin d'écrire , . Depuis que le destin nous a conduits ici?
PONE ELVIRE.
Pourquoi cette demande? et d'où vient ce souci?
D. GARCIE.
D'un désir curieux de pure fantaisie.
DONE ELVIRE.
La curiosité nait de la jalousie.
â8 DON GARCIE DE NAVARRE.
D. GARCIE.
Non y ce n'est rien du tout de ce que vous prisez ^ Vos ordres de ce mal me défendent assez.
DONE ELVIRE.
Sans chercher plus avant quel intérêt vous presse , JTai deux fois à Léon écrit à la comtesse, Et deux fois au marquis don Louis à Burgos. Avec cette réponse êtes-vous en repos?
D. GARCIE.
Vous n'avez point écrit à quelque autre personne, Madame?
DONE ELVIRE.
Non, sans doute; et ce discours m'étonne»
D. GARCIE.
De grâce, songez bien avant que d'assurer. En manquant de mémoire on peut se parjurer.
DONE ELVIRE.
Ma bouche sur ce point ne peut être parjure.
0 D. GiiRGIE.
Elle a dit toutefois une haute imposture.
DONE ELVIRE.
Prince!
D. GARCIE.
Madame !
DONE ELVIRE.
O ciel! quel est ce mouvement? Avez-vous, dites-moi; perdu le jugement?
ACTE II, SCÈNE V. 29
D. GARGIE.
Ouï, oui, je laî perdu, lorsque dans votre vue Jai pris, pour mon malheur, le poison qui me tué. Et que j'ai cru trouver quelque sincérité Dans les traîtres appas dont je hs enchanté.
DONE ELVIRE.
De quelle trahison pouvez-vous donc vous plaindre ?
D. GARGIE.
Ah! que ce cœur est double, et sait bien Fart de feindre! Mais tous moyens de ftiir lui vont être soustraits. Jetez ici les yeux, et connoissez vos traits. Sans avoir vu le reste, il m'est assez facile De découvrir pour qui vous employez ce style.
DONE ELVIRE.
Voilà donc le sujet qui vous trouble lesprit?
D. GARGIE.
Vous ne rougissez pas en voyant cet écrit?
D017E ELVIRE.
Llnnocence à rougir n'est point accoutumée.
D. GARGIE.
n est vrai qu'en ces lieux on la voit opprimée. Ce billet démenti pour n'avoir point de seing. . .
DOKE ELVIRE.
Pourquoi le démentir, puisqu'il est de ma main?
D. GARGIE. '
Encore est-ce beaucoup que, de franchise pure, Vous demeuriez d'accord que c est votre écriture : Mais ce sera sans doute ^ et j'en serois garant,^
3o DON GARCIE DE NAVARRE.
Un billet (ju'on envoie à quelque indifférent; Ou du moins ce qu'il a de tendresse évidente Sera pour une amie ou pour quelque parente.
I
!
DOKB ELVIRE.
Non , c'est pour un amant que ma main la fiirmé, Et, j ajoute de plus^ pour uu amant aimé.
D. OAECIS.
Et je puis, ô perfide!. . .
DONB BliYIllE.
Arrêtez, prince ûod^e. De ce lâche transport l'égarement insigne. Bien que de vous mon cœur ne prenne point de loi^. Et ne doive en ces lieux aucun compte qu'à soi, Je veux bien me purger, pour votre seul supplice, Du crime que m'impose un insolent caprice. Vous serez éclairci, n'en doutez nullement : Jaima défense prête en ce même moment; Vous allez recevoir une pleine lumière; Mon innocence ici paroitra tout entière; Et je veux, vous mettant juge en votre intérêt, Vous faire prononcer vous-même votre arrél.
D. GARG'IE.
Ce sont propos obscurs quW ne sauroit comprendre.
DONE BLVXRE. <
%
Bientôt à vos dépens yons me pourrez entendre. Élise, holà!
ACTE II, SCÈNE VI.
SCÈNE VI.
D. GARCIE, DONE ELVIRE, ÉLISE.
ÉLISE. MAtDAME? DONE BCVIRE, & don Garcie.
Observez bien au moins Si j ose à vous tromper employer quelques soins , Si par un seul coup d^œil'ou geste qui l'instruise Je cherche de ce coup A parer la surprise.
( à Élise. )
Le billet qiœ tantèt ma main ayoit tracé , Répondez promptement, où faYez-yous laissé?
ÉLISE.
Madame, j'ai sujet de m'ayouer coupable;
Je ne sais cosune il est demeuré sur ma table;
Mais ou yient de m'apprendre en ce même moment
Que don Lope yenant dans mon appartement,
Par une liberté qu'on lui yoit se permettre ,
A fureté partout, et trouyé cette lettre.
Gomme il la déplioit, Léonor a youlu
S'en saisir promptement ayant qu'il eût rien lu ;
Et, se jetant sur lui, la lettre contestée
En deux justes moitiés dans leurs mains est restée;
Et don Lope, aussitôt prenant un prompt essor,
 dérobé la sienne aux soins de Léonor*
DONS ELyiRE.
Avez-yous ici Pautre?
3a DON GARCIE DE NAVARRE.
ÉLISE.
Oui 9 la Yoilà , madame.
DONE ELYIRE. ( à don Garcie. ]
Donnez. Nous allons voir qui mérite le blâme. Avec votre moitié rassemblez celle-ci. Lbez, et hautement, je veux lentendre aussi.
D. GARCIE.
Au prince don Garcie. Ah I
D0N£ ELVIRE.
Achevez de lire. Votre âme pour ce mot ne doit point s'interdire.
D. GARCIE lit.
« Quoique votre rival, prince, alarme votre âme, « Vous devez toutefois vous craindre plus que lui; « Et vous avez en vous à détruire aujourd'hui « L'obstacle le plus grand que trouve votre flamme.
« Je chéris tendrement ce qu'a fait don Garcie « Pour me tirer des mains de mes fiers ravisseurs;' « Son amour , ses devoirs , ont pour moi des douceurs , « Mais il m'est odieux avec sa jalousie.
« Otez donc à vos feux ce qu'ils en font paroitre, « Méritez les regards que l'on jette sur eux; « Et lorsqu'on vous oblige à vous tenir heureux, « Ne vous obstinez point à ne pas vouloir Fêtre. .».
DONB ELVIRE.
Hé bien ! que dites -vous ?
ACTE II, SCÈNE VI. 33
D. GAEGIE.
Âh! madame, je dis Qu'à cet objet mes sens demeurent interdits, Qae je vois dans ma plainte une horrible injustice. Et qu'il n'est point pour moi d'assez cruel supplice.
DONE ELYIRE.
n suffit. Apprenez que si j'ai souhaité Qu à vos yeux cet écrit pût être présenté. C'est pour le démentir , et cent fois me dédire De tout ce que pour yous vous y venez de lire. Adieu, prince.
n. GARCIE.
Madame, hélas! où fuyez -vous?
DONE ELYIRE.
Où VOUS ne serez point , trop odieux jaloux.
O. GARGIE.
Âh ! madame j excusez un amant misérable ^
Qu un sort prodigieux a Ëiit vers vous coupable ,
Et qui , bien qu'il vous cause un courroux si puissant.
Eût été plus blâmable à rester innocent.
Car enfin peut-il être une âme bien atteinte
Dont l'espoir le plus doux ne soit mêlé de crainte ?
Et pourriez-vous penses que mon cœur eût aimé.
Si ce billet J&tal ne l'eût point alarmé.
S'il n'avoit point fi:émi des coups de cette foudre
Dont je me figurois tout mon bonheur en poudre?
Vous-même, dites-moi si cet événement
N'eût pas da<ns mon erreur jeté tout autre amant ^
MoLiàaz. 2« 3
34 DON GARCIE DE NAVARRE.
Si d'une preuve, hélas! qui me sembloit si claire Je pouyois démentir. • .
DONE ELVIRE.
Oui , vous le pouviez faire ] Et dans mes sentiments, assez bien déclarés, Vos doutes rencontroient des garants assurés : Vous n'aviez rien à craindre; et d autres, sur ce gage, Auroient du monde entier bravé le témoignage.
D. GARCIE.
Moins on mérite un bien qu^on nous fiiit espérer.
Plus notre âme a de peine à pouvoir s'assurer.
Un sort trop plein de gloire à nos ;^eux est fragile.
Et nous laisse aux soupçons une pente facile.
Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,
J'ai douté du bonheur de mes témérités^;
«
J'ai cru que, dans ces lieux rangés sous ma puissance. Votre âme se forçoit à quelque complaisance; Que, déguisant pour moi votre sévérité. . .
PONÈ EtVIRE.
Et je pourrois descendre à cette lâcheté! Moi , prendre le parti d'une honteuse feinte , Agir pat" les motifs d'une servile crainte, Trahir mes sentiments, et, pour être en vos mains. D'un masque de faveur vous couvtir mes dédains î La g|loire sur mon cdeur auroit s! peu d'empire! Vous pouvez le penser! et vous me l'osez dire! Apprenez que ce cœur ne sait point s'abaisser. Qu'il n'est rien sous les cieux qUi puisse l'y forcer;
ACTE II, SCÈNE YI. 35
Et, s'il vous a fait voir, par une erreur insîf^e, Des marcpies de bonté doat tou» n'étiez pas digoe. Qu'il saura bien montrer, malgré votre pouvoir, La haine que pouf vous i| se résout d'avoir, Braver votre furie, et vous &ire connaître Qu'il n'a point été lâche et ne veut jamais 1 être;
Hé bien ! je suis coupable , et ne m'tii. défends pas :
Mais je demande grâce à vos divins appas ;
Je la demande au nom de la fim vive flamme
Dont jamais deux beaux yeiïx ^ient fait brûler une âme.
Que si votre courroux ne peut être apaisé ,
Si mon crime est trop grand pour se voir excusé |
Si vous ne regardez ni l'amour q^i le cause ,
Ni le vif repentir que mon cœur vdos expose,
11 ËLut qu'un coup heureux^ on tne faisant mourir^
MTarrache à des tourments que je ne puis soul&ir.
Mon , ne présumez pas qu'ayant su vous déplaire,
Je puisse vivre une heure avec votre colère.
Déjà de xx memmi la barbare longueur
Sous ses cuisants remords fait succocaber mon cœur,
Et dcv mille vautours les biessui^ cruelles
N'ont rien de compatible k cestkuleurs mortelles.
Madame, vous n'avez qu'à me le .déclarer.
S'il n'est point de pardon que je doive espérer,
Cette épée auasitôt, par un coup favorable,
Va peresr i vos yeux le ceeur d'un misérable ,
Ce cœiâr, oe tMMve cœur, dont leS ^perplexités
36 DON GARCIE DE NAVARRE.
Ont si fort outragé vos extrêmes bontés : Trop heureux^ en inonrant, si ce coap légitime EBkce en votre esprit Timage de mon crime , Et ne laisse aucuns traits de TOtre aversion Au foible souvenir de mon affection! C'est Tunique faveur que demande ma flamme^
DONE XLVIRB.
Ah I prince trop cruel !
p. GARCIE.
Dites, parlez, madame.
DONS ELVIRE.
Faut- il encor pour vous cons^rer des bontés, Et vous voir m'outrager par tant d^indîgnités?
D. 6AR0IE.
Un coeur ne peut jamais outrager quand, il aime ; Et ce que fait l'amour, il Texcuse lui-même.'
DONE ELVIRE.
L'amour n'excuse point de tels emportements.
D. GARCIE,
Tout ce qu'il a d'ardeur passe en ses mouvements; Et plus il devient fort, plus il trouve de peine. • «
DONE ELVIRE.
Non, ne m'en parlez point, vous méritez ma haine.
D. GARGIE.
Vous me haïssez donc?
DONE ELVIRE.
Ty veux tâcher au moins : MaiS| hélasl fe trains bien que j'y perde mes soins,
ACTE II, SCÈNE VI. 37
Et qae tout le courroux ^'excite votre offense Ne puisse jusque-là faire aller ma vengeance.
D. 6ARCIE.
D'un supplice si grand ne tentez point l'effort, Puisque pour vous venger je vous offire ma mort; Prononcez-en Farrât, et j'obéis sur l'heure.
DONE ELVIRE.
Qui ne saurpit haïr ne peut vouloir quW meure.
B. GiARCIE.
Et moi, je ne puis vivre, à moins que vos bontés
Accordent un pardon à mes témérités.
Résolvez l'un des deux, de punir, ou d'absoudre.
DONE ELVIRE.
Hélas! j'ai trop fait voir ce que je puis résoudre. Par Taveu d'un, pardon n'est-ce pas se trahir. Que dire au criminel qu'on ne le peut haïr?
D.. GARGIE.
Âh! c'en est trop; soaffi'e;z, adorable princesse. ••
DONE ELVIAÊ.
Laissez ; je me veux mal d'une telle foiblesse.
%
D. GÂRGIS, seuln
Enfin je suis.
. .
38 DON 6ARG1Ë DE NAVARRE.
SCÈNE VU.
D. GARCI5, D. LOPE,
n. EûPB. SjuGNJirvR^ je vicxi^ tou» infiNner D'un secret dont tos feax o&t droit de s dkf mer«
», GÀRCIÇ-
Ne me YÎeixs poiot parler de secret ni d'diarme
Dans les doux mouvements du transport qui me charme.
Après ce qu'à mes yeux on vient de présenter,
Q n^est point de soupçons que je doive écouter j
Et d'un divin objet la bonté sans pareille
À touâfces vains rapports doit fermer mon oreille :
Ne m'en fai$ plus.
D. LOPE.
t ■
Seigneur, je veux ce qull voUs plaît; Mes soins en* tout ceci n'ont que votre intérêt.' J'ai cru que le secret que je viens de surprendre Méritoit'bîcn qu'en hâte on vous le vint apprendre : Mais, puisque vous voulez que je n^en touche rien , Je vous dirai , seiigneur, pour ohangoBr d'^ntEetioot^ Que déjà dans Léoii on voit çb^ue famille Lever le masque au bruit des troupes de QastiUe. Et que surtout le peuple y fait pour son vrai roi Un éclat à donner au tyran de leifroi,
D. GARCIE,
La Castille du moins n aura pas la victoire Sans que nous essayions d en partager la gloire;
ACTE II, SCÈNE VII. « 39
Et nos troupes aussi peuvent être en état D^imprimer ^elque crainte au cœur de Maurégat. Mais quçl est ce secret dont tu voulpis mHnstruire? Voyons un peu.
D. LOPE.
Seigneur, je n'ai rien à vous dire.
D. GARCIE.
Va, va, parlé; mon cœur t'en donne Je pouvoir.
Pf Loy*. Vos paroles, seigneur, m^en ont trop &it savoir; Et puisque pie? avis ont de quoi voua déplaire, Je saurai 4^sormais trouver Yant de me t^ire.
D. OARÇÏE.
Enfin je vçui: savoir la chose absolument*
D. LOP£.
Je ne réplique point à ce commandement.
Mais^ seigueur ^ en ce lieu le devoir de mon z^le
Trahiroit le secret d'une telle nouvelle ;
Sortons pour vous Tapprendre; et ^ §au5Tien eipj?ra§fier,
Vous-même yçqç vçrrez ce qu'on en doit peuseï:.
FIN nV SECOND ACTE.
4o DON GARCIE DE NAVARRE.
ACTE TROISIÈME.
«k I
SCÈNE I.
DONE ELVIRE, ÉLISE.
DORE EI.YIRE.
Elise , que ttis-ta de l'étrange foiblesae , Que vient de témoigner le cœur d\ine princesse? Que dis-tu de me voir tomber si promptemenC De to4le la chaleur de mon ressentiment. Et, malgré tant d'éclat, relâcher mon courage Au pardon trop honteux d'un si cruel outrage?
ÉLISB.
Moi, je dis que d'un cœur que nous pouTous chérir
Une injure, sans doute, est bien dure à souffiir;
Mais que, s'il n'en est point qui davantage irrite,
n n en est point aussi qu'on pardonne si vite.
Et qu'un coupable aimé triomphe à nos genoux
De tous les prompts transports du plus bouillit courroux ,
D'autant plus aisément, madame, quand loifense
Dans un excès d'amour peut trouver sa naissance.
Ainsi p quelque dépit que l'on vous ait causé.
Je ne m'étonne point de le voir apaisé;
Et je sais quel pouvoir, malgré votre menace,
A de pareils forfaits donnera toujours grâce.
ACTE m, SCÈNE I. 4i
DONK BIVIRB.
Âh ! sache , quelque ardeur qui m'im^pose Ses lois y Que mon front a rougi pour la dernière fois , Et que, si désormais on pousse ma colère, n n^est point de retour qu'il faille qu^on espère. Quand je pourrois reprendre un tendre sentiment, Cest assez contre lui que Téclat d'un serment : Car enfin un esprit qu'un peu d orgueil inspire Trouve beaucoup de honte à se pouvoir dédire, Et souvent, aux dépens d'un pénible combat. Fait sur ses propres vœux un illustre attentat, S'obstine par honneur, et n a rien qu'il n'imimole  la noble fierté de tenir sa parole. Ainsi, dans le pardon que l'on vient d'obtenir. Ne prends point de clartés pour régler l'avenir. Et, quoi qu'à mes destins la fortune prépare, Crois que je ne puis être au prince de Navarre, Que de ces noirs accès qui troublent sa raison n n'ait fait éclater l'entière guérison , Et réduit tout mon cœur, que ce mal persécute, A n'en plus redouter laflfront d'une rechute-
ÉLISE.
Mais quel affront nous fait le transport d'un jaloux ?
DONE ELVIRE,
En est-il un qui soit plus digne de courroux? Et puisque notre cœur faitun effort extrême Lorsqu'il se peut résoudre à confesser qu il aime. Puisque l'honneur du sexe, en tout temps rigoureux^
43 DON. QARCIP DE NAVARRE.
Oppose un fort obst^Je 4 i^i pai^eik aveux , L'amam qiÀ v^il pow Iw ^Tv^ncti un tel <^tade Doit-il impimëm^t dou^ ^ eet or^de? Et n est-il pas ço^^able ftlors qu'il ne çcoit pas Ce qu'on ne dît jamb qu aprë$ de grands çembats?
Moi, je tiens que touj^ur^ un peu ^e défiance
En ces occasions n'a rion qui nous offense,
Et qu'il est dangereux qu-uq çoepr qu'on 4 cbanpé
Soit trop persuadé , madaip^, d'être aimé :
Si. . .
nONE B^VIRE.
Ken disputons plu$. Chaçmi a sa pei^séfe. C'est un scrupule enfin dopt .mon ime «$t Ule$aé^ \ Et contre ines désirs je sen$ je ne çais quoi Me prédire un éclat entre U prince et moi^ Qui j malgré ce qu'on doit aux vertus dont il briUe. • , Mais, ô ciel! en c^ iieu;^ don Sylve de Castille! ^
SCÈNE IL
DONE ELYIRE; D. ALPHONSÇ, cru D. SYLVp-
ÉLISE.
âh! seigneur, par quel sprt vous y^is-|e maintenant?
D. ALPHarïSE.
Je sais que mon abord, madame, est surprenant , Et qu'être sans éclat entré dan$ cette ville ^ Dont Tordre d'un rival rend l'accès difficile^
ACTE III, SCÈNE IL 43
Qu'avoir pu me soustraire aux yeux de ses soldats , C'est un événement que vous n^ttendiez pas. Mais si j^ai dans oe& lieux franchi quelques obstacles^ L'ardeur de VQUS revoir peut bien d'autres miracles ; Tout mon cœur a senti par de trop rudes coups Le rigoureux destin d^dti^ éloigné de vous, Et je n'ai pu nier an tourment qui le tue Quelques momenta secrets d'une si chère vue* Je viens vous dire dcmc que je rends grflciei aux eieux De vous voir hors des mains d^un tyran odiei£& : Mais, parmi les douceurs d'une telle aventuré, Ce qui m^est un sujet d éternelle torture, . .
C'est de voir qu^à mon bras les rigueitrs'de mon sert Ont envié l'honneur de cet illustre effi>rt. Et fait à mon lival , avec trop d^injustice , Offinr les doux périls d'un si.&meux servie^. Oui , madame , j'avois , pqur rompre vos liens , Des sentiments sans doute aussi be^ux que les siens; Et je pouvois pour Wus ^gfier cette victoire , Si le ciel n'eût voulu m*en dérober la gloire.
DONÉ ELVXRE. /
Je sais , seigneur, je saiâ que vous ayez un cœur
Qui des plus grands périls vous peut rendre, vainqueur;
Et je ne doute point que ce généreux 2sè}e,
Dont la chaleur vous pousse à venger ma querelle,
N'eût contre les efforts d'un indigne projet. .
Pu faire en ma Ëiveur tout çâ qu'un autre a fait.
Mais , sans cette action dont vous étiei; oapa^ e ,
44 DON GARCIE DE NAVARRE-
Mon sort à la Castille est a^ssez redevable ;
On sait ce qu'en ami plein d'ardeur et de foi
Le comte Totre père a fait pour le feu roi : .
Après Tavoir aidé jusqu'à l'heure dernière,
n donne en ses États un asile à mon frère.
Quatre lustres entiers il y cache son sort
Aux barbares fureurs de quelque lâche effort;
Et^ pour rendre à son front l'éclat d'une couronne,
Contre nos ravisseurs vous marchez en personne.
N'êtes-vous pas content? et ces soins généreux
Ne m attachent-ils point par d'assez puissants nœuds?
Quoil votre âme, seigneur, seroit-elle obstinée
A voukir asservir toute ma destinée ?
Et faut-il que jamais il ne tombe sur nous
L'ombre d'un seul bienfait, qu'il ne vienne de vous?
Ah! souffrez, dans les maux où mon destin m'expose,
Qu'aux soins d'un autre aussi je doive quelque chose;
Et ne vous plaignez point de voir un autre bras
Acquérir de la gloire où le vôtre n'est pas*
D. ALPHONSE.
Oui, madame, mon cœur doit cesser de s'en plaindre. Avec trop de raison vous voulez m'y contraindre; Et c'est injustement qu'on se plaint d'un malheur. Quand un autre plus grand s'offre à notre douleur. Ce secours d'un rival m'est un cruel martyre. Mais, hélas! de mes maux ce n'est pas là le pire : Le coup , le rude coup dont je suis atterré , C'est de m^ voir par vous ce rival préféré.
N
ACTE III, SCÈNE IL 45
Ouï, je ne vois que trop que ses feux pleins de gloire
Sur les miens dans votre âme emportent là victoire;
Et cette occasion de servir vos appas ,
Cet avantage offert de signaler son bras.
Cet éclatant exploit qui vous fut salutaire,
N'est que le pur effet du bonheur de vous plaire,
Que le secret pouvoir d'un astre merveilleux
Qui fait tomber la gloire où s'attachent vos vœux.
Ainsi tous mes efforts ne seront que fumée.
Contre vos fiers tyrans je conduis une armée :
Mais je marche en tremblant à cet illustre emploi.
Assuré que vos vœux ne seront pas pour nioi,
Et que , s'ils sont suivis, la fortune prépare
L'heur des plus beaux succès aux soins de la Navarre»
Â.hl madame, faut-il me voir précipité
De l'espoir glorieux dont je m etois flatté?
Et ne puis- je savoir quels crimes on m'impute.
Pour avoir mérité cette eflfroyable chute?
DONE ELVIRE.
Ne me demandez rien avant que regarder Ce qu'à mes sentiments vous devez demandeur; Et sur cette firoideur qui semble vous confondre Répondez-vous, seigneur ^^ ce que je puis répondre : Car enfin tous vos soins ne sauroient ignorer Quels secrets de votre âme on m'a su déclarer; Et je la crois cette âme et trop noble et trop haute Pour vouloir m'obliger à commettre une £iute. Vous-même , dites-vous s'il est de l'équité
46 DON GARCIE DE NAVARRE.
De me voir couronner une infidélité.
Si vous pouyez m'offirîr sans beaucoup d^in justice
Un cœur à d'autres yeux offert en sacrifice ,
Vous plaindre avec raison , et blâmer mes refiis
Lorsqu'ils veulent d'un crime affiranchir vos vertm.
Oui, seigneur, c'est un crime; et les premières flamme
Ont des droits si sacrés sur les illustres ftmes ,
Qu'il faut perdre grandeurs et renoncer au jour
Plutôt que de pencher vers un second amour«
J'ai pour vous cette aideur que peut p^rendre l'estime
Pour un courage haut, pour un cœur magnanime;
Mais n exigez de moi que ce que je vous dois ,
Et soutenez l'honneur de votre premier choix.
Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle tendresse
Vous conserve le cœur de l'aimable comtesse,
Ce que pour un ingrat ( car vous Pètes, seigneur, )
Elle a d'un choix constant refiisé de bonheur;
Quel mépris généreux, dans son ardeur extrâm«,
Elle a fait de l'éclat que donne un diadème :
Voyez combien d'ejffi>rts pour vous elle a bravés,
Et rendez à son cœur ce que vous lui devez.
D. ALPHONSE.
Ah! madame, à mes yeux n'ollrez point son mériiie, Il n'est que trop présent à l'ingrat qui la quitte ;. Et si mon cœur vous <dît ce que pour elle il sent, J'ai peur qu'il ne soit pas envers vous innaceût. Oui , ce cœur lose plaindre , et ne smt pas «ans \^^^ L'impérieux effort de l'amour qui l'entraîne;
ACTE III, SCÈNE tl. I^j
Âacun espoir pour yoiis ii'à Sàtté mes désirs, '
Qui ne m'ait arraché pour elfe des soupira^
Qui n'ait dans ^^ douceurs fait jeter à mëti ânie
Quelques tristes regards vers sa pemière iSamm^,
Se reprocher l'efiet de vos divins attraits ,
Et mêler des remords à mes plus chers^ouhaits.
J'ai fait plus que cela, puis^u'U vdus faut tout dire ;
Oui, j'ai voulu sur moi vous ôter votre empire,
Sortir de votre chaîne, et rejeter mon cœur
Sous le joug innocent de son premier Vainqueur.
Mais, après mes efforts ^ ma constance ahattue
Voit un cours néce^^aire à ce mai qui me tue;;
Et, dût être mon sort à jamais malheureux ,
Je ne puis renoncer à Tespoi^de mes vœtix.
Je ne sauroifi sotifflrir Pépouvantahle idée
De vous voir par un autre à mes yeux possédée ;
Et le flambeau du jour qui m'offre vos appas
Doit avant cet hymen éclairer mon trépas*
Je sais que je trahis une princfeSSe aimable;
Mais, madame, après tout^ mon cœur est-3 coupable?
Et le fort ascendant qiié prend votre beauté
Laisse- t-il aux esprits aucune liberté?
Hélas ! je suis ici bien phis à plaindre qu'elle ;
Son cœur, en mé perdant, tie perd qu'un iûfiéèle ;
D'un pareil déplaisir on se peut consoler :
Mais moi , par un malheur qtti né petit s'égaler ,
J^ai celui de quitter une aiinabk personne,
Et tous les maux encor que mon amour me. donne.
48 DON GARCIE DE NAVARRE.
P0I7E ELVIRE.
Vous n avez que les maux que vous voulez avoir; Et toujours notre coeur est en notre pouvoir: Il peut bien quelquefois montrer quelque foiblesse; Mais enfin sur nos sens la raison est maîtresse. • .
SCÈNE m.
D. GARCIE, DONE ELVIRE, D. ALPHONSE, cko
D. SYLVE.
D. 6AKGIE.
Madame., mon abord, comme je connois bien , Assez mal à propos trouble votre entretien : Et mes pas en ce lieu, s'il faut que je le die, Ne croyoient pas trouver si bonne compagnie.
DONE ELVIAE.
Cette vue, en effet, suiprend au dernier point; Et, de même que vous, je ne Fattendois point*
i). GARCIE.
Oui, madame, je crois que de cette visite.
Comme vous lassurez , vous n'étiez point instruite. ^
( à don Sjlye. )
Mab, seigneur, vous deviez nous faire au moins l'honneur De nous donner avis de ce rare bonheur, Et nous mettre en état, sans nous vouloir surprendre, De vous rendre en ces lieus ce qu on voudroit vous rendre.
J>. ALPHONSE.
Les héroïques soins Vous occupent si fort.
ACTE III, SCÈNE III. 49
Que de vous en tirer, seigneur, j'aurois eu tort; Et des grands conquérants les sublimes pensées "^ Sont aux civilités avec peine abaissées.
D. GARCIE.
Mais les grands conquérants, dont on vante les soins,
Loin d'aimer le secret, affectent les témoins :
Leur âme, dès l'enfance à la gloire élevée,
Les fiiit dans leurs projets aller tête levée ;
Et s appuyant toujours sur de hauts sentiments.
Ne s'abaisse jamais à des déguisements.
Ne commettez-vouS point vos vertus héroïques
En passant dans ces lieux par de sourdes pratiques^
Et ne craignez-vous point qu'on puisse , aux yeux de tous,
Trouver cette action trop indigne de vous?
D. ALBHONSS.
Je ne sais si quelqu'un blâmera fta conduite,
Au secret que j'ai fait d'une tqlle visite;
Mais je sais qu an;x projets qui veulent la clarté ,
Prince , je n ai jamais cherché l'obscurité :
Et , quand j'aurai sui: vous à faire ui^e entreprise ,
Vous n'aurez pas sujet de blâmer la surprise ;
n ne tiendra qu'à vous de vous en garantir.
Et l'on prendra le soin de vous en avertir.
Cependant demeurons aux termes ordinaires ,
Remettons nos débats après d'autre affaires;
Et, d'un sang un peu chaud réprimant ks bouillons ,
N oublions pas tous deux devant qui nous parlons.
MOLI^AE 2. '4
So DON 6ÂRCIE DE NAVARRE.
DONB BLYIRB, à ^n Garcîe.
Prince, VOUS avez t<^; et sa irisite est' t^6) Que vous...
D. GARGIE«
Ah ! c^en est trop que prendra sa ^erelle , Madame; et votre esprit devroit feindre an peu mieux, Lorsqu^il veut ignorer sa venue en ces lieux* Cette chaleur si prompte à vouloir Ja défendre Persuade assez mal (ju elle ait pu vous surprendre.
DONE ELVIRB.
Quoi que vous soupçonniez, il m'importe si peu, Que j^aurois du regret d en faire un désaveu*
D. GARGIE. .
Poussez donc jusquVu bout tet orgueil héroïque, Et que sans hésiter tout votre cœur s^explique; * C'est au déguisement donner trop de crédit. Ne désavouez rien, puisque vous l'avez dit. Tranchez , tranchez le mot , forcez toute conlrainte) Dites que de ses feux vous ressentez latteinte^ Que pour vous isa présence a des charmes si doajic. ; .
DONB EtVIRE.
Et si je veux l'aimer, m en empêcherez- vous? Âvez-vous sur mon cœur quelque empire à prétendrai Et, pour régler mes vœux, ai-je votee ordre à prendre? Sachez que trop d orgueil a pu vous décevoir. Si votre cœur sur moi sVst cru quelque pouvoir. Et que mes sentiments sont d'une âme trop grande Pour vouloir les cacher lorsqu'on me les demanâe.
ACTE m, SCÈNE IIL 5t
Je ne Y0113 dirai point si le comte est aimé :
Mais apprenez ^e moi qu'il est fort estimé;
One ses haute» v^tus, pour qui je m'intéresse,
Méritent mieux que vous le$ vqpuz IPune princesse;
Que je garde aux ardeur^ , aui soips quH me feit voir,
Tout le ressentiment qn^uQ ftipe puisse, avoir;
Et que, si des destiqs la &tale puis^pce
M^ôte la liberté d'être sa récompense ^
Au moins esl-il en moi de promettre & ses yœipc
Qu'on ne me yçrra point le butin de yos feui^. »
Et, sans tous amuser d'une attente ^iyole,
C^est à quoi JQ Ve^gage ; et je tiendrai paroje,
Voilà mon cœur oi^yert , puisque yous le vouiez ^
Et mes vrai^ sentimeqts à vos yeux étalée.
Êtes-vous satjsj^t? et mon âme attaquée
S'est-elle , à votre ^yi? , ^sses bien expliquée ? ■
Voyez , pour vo^ ôter toqt lie^ de soupçonner ^
S'il reste quelt^u^ jc^qr ençorq ^ vqu^ donner*
Cependant si VQS ^oipç s'attachent à me plaire. Songez quç votre })ra$, ÇQinte, m^est nécessaire ^ Et, d'un capricie^i^ qu^}$ <^e çoient les transports^ Qfik punir nos tyrans U dpit tpiis çps efforts. Fermez l'oreille enfii» ^ jQUte ^ ftjrie J Et, pour vous y porteri c'pgt jsxql qui yous en prie.
5a DON GARCIË Dfe NÀYÀRRR
SCÈNE IV.
D GARCIE; D- ALPHONSE, cwj IX SYLVE.
' D. &ÀRCIE.
Tout vous rit, et votre âme en cette occasion Jouit superbement de ma confusion, n vous est doux de voir un aveu plein de gloire Sur les feux d un rival marquer votre victoire : Mais c'est à votre joie un surcroît sans égal, * J^en avoir pour témoins les yeux de ce rival^ Et mes prétentions , hautement étouffées , A vos vœtix triomphants sont d'illustres trophées. Goûtez à pleins transports ce bonheur éclatant : Mais sachez qu'on n'est pas encore où Ion prétend. La fureur qui m^anime a de trop justes causes, Et Ton verra peut-être arriver bien des choses. Un désespoir va loin quand il est échappe, Et tout est pardonnable à qui se voit trompé. Si l'ingrate, à mes yeux, pour flatter votre flamme, A jamais n être à moi vient d'engager son âme, Je saurai bien trouver, dans mon juste courroux. Les moyens d'empêcher qu elle ne soit à vous.
n. ALPHONSE.
Cet obstacle n'est pas ce qui me met en peine. • Nous verrons quelle attente, en tout cas, sera vainc; Et chacun de ses feux pourra , par sa valeur. Ou défendre la gloire, ou venger le malheur. Mais comme^ entre rivaux, Tàme la plus posée
♦ ,
ACTE III, SCÈNE IV. . 53
A des termes d aigreur trouve une pente aisée, Et ^e je' ne yeu^ point qu'un pareil entretien Poissa trop échauflfer Totre esprit et le mien , Prince, affi*anchissez-moi d'une gêne secrète, Et me donnez moyen de Êiire ma retraite.
D.i GRACIE.
Non, non, ne craignez point qa'on pousse votre esprit A viofer ici Tordre qu on vous prescrit. Quelque juste fureur qui me presse et vous flatte. Je sais, comte, je sais quand il faut qu'elle éclate. Ces lieux vous sont ouverts; oui , sortez-en, sortez , Glorieux des douceurs que vous en remportez : Mais, encore une fois, apprenez que ma tète Peut seule dbns vos mains mettre votre conquête*
■
D. ALPHONSE.
Quand nous en serons là, le sort en notre bras De tous nos intérêts videra les débats.
riN DU TROISIEME ACTE.
< ••
54 DON GÂRCIE DE NAVARRE.,
ACTE QUATRIÈME.
ji r.
SCÈNE L
DONE ELVIREj D. ALVAft.
DONE SLVIRE.
Retournez , don Alvar, et perdè^ Tèisfîéralicé De me persuader loilUi 'àt celttt offeâdè. Cette plaie entnoB cœur îitB sauroît isè gnérir^ Et les soins ç[^ii'on en prend ne font den que f^grin A (juelijues faux respects 6roit41 que je défère? Non , non , il a poussé trop avant knâ Côlèré ; Et son vain repentir qui porte ici vos pas^ Sollicite un pardon que vous n'obtiendrez pas,
D. ALVAR.
Madame, il fait pitié : jamais cœur, que je pense, Par un plus vif remords n'expia son offense; Et , si dans sa douleur vous le ^nsidériez , H toucheroit votre âme, et vous Texcuseriez. On sait bien que le prince est dans un âge à suivre Les premiers mouvements où son âme se livre, Et qu en un sang bouillant toutes les passions Ne laissent guère place â des réflexioilS* Don Lope, prévenu d'ui^e fausse lumière ^
ACTE IV, SCÈNE I. 5S
De Terreur de son maître a fourni la manière. Un bruit assez confiis, dont le zèle înâîscret A de l'abord du comte éventé le secret) Vous avoit mise aussi de cette inlelUgence- Qui , dans ces lieux gardés , a donné sa présence» Le prince a cru Tavis; et son amour séduit Sur une fausse alarme a &it tout ce grand bruit. Mais d'une telle erreur son âme est revenue : Votre innocence enfin lui vient d'éfte connue ; Et don Lope qu'il chasse est un visible effet Du vif remords qu'il sent de l'éclat qu'il a fait.
DONE ELVIRE.
Ah! c'est trop promptement qu'il croit mon innocence, Il n'en a pas encore une entière assurance : Dites-lui, dites-lui qu'il doit bien tout peser , Et ne se hâter point, de peur de s'abuser,
n« alvàr.
Madame , il sait trop bien. . .
DON£ ELVIRE.
Mais, don Alvar, de grfcc, N'étendons pas plus loin un discours qui me lasp -, lU^veille un cliagrin qui vient à contre-temps En troubler dans mon cœur d'autres plus importants. Qui, ^LU^ trop grand malheur la surprise me presse, Et le bruit du trépas de Tillustre comtesse Doit s'emparer si bien de tout mon déplaisir, ' Qu'aucun autre souci n'a droit de me saisir.
5(5 DON GARCIE DE NAVARRE.
. D. ALVAJI.
Madame, ce peut être une fausse nouvelle; Mais mon retour au prince en porte une cruelle.
DONE ELVIRE.
De ({uelq[ue grand ennui qu'il puisse être agité^ Il en aura toujours moins qu'il n^a mérité.
SCÈNE ii:
DONE ELVIRE, ÉLISE.
ELISE.
JaTtendois qu'il sortit, madame, pour vous dire Ce qu il faut maintenant que votre âme respire, Puisque votre chagrin, dans un moment d'ici, Du sort de dofte Ignés peut se voir éclairci. Un inconnu, qui vient pour cette confidence, Vous &it par un des siens demander audience.
DONE ELVIRE.
Élise, il faut le voir) qu'il vienne promptemeut.
ÉLISE.
MaU il veut n'être vu que de vous seuleiment;
Et par cet envoyé, madame, il sollicite
Qu^il puisse sans témoins vous rendre sa tlM^ite.
DONE ELVIRE.
Hé bien! nous serons seuls, et je vais l'ordonAer Tandis que tu prendras le soin de l'amener. Que mon impatience en ce moment est forte! Q destins! est-ce joie ou douleur quVn m'apporte?
ACTE IV, SCÈNE III. 57
SCÈNE III.
«
D. PEDRE, ÉLISE.
iLISE,
oi... i
D. PiDRB.
Si vous me cherchez, madame , me voici*
ÉLISE.
En qnel lieu votre maitre 7
D. PÂDRE.
Il est proche d'ici. • Le ferai- je venir?
ELISE.
Dites-lui qu'il s'avance , Assm^ qu'on l'attend avec impatience y * Kt qu'il ne se verra d'aucuns yeux éclairé.
(seule.)
Je ne sais quel secret en doit être auguré ; Tant de précautions qu'il affecte de prendre. . • Mais le voici déjà.
SCÈNE IV.
DONE IGNÉS, DÉGUISÉE en hommej ÉLISE.
lELISE.
Seigneua, pour vous attendre On a Ëtit. . . Mais que vois-je 7 Âh 1 madame , mes yeux. . . f
DONE iGNis. ^e me découvrez point, Élise, dans ces lieux,
58 DON GARCIE DE NAVARRE.
Et laissez respirer ma triste destinée Sous une feinte mort que je me suis donnée. GW elle qui m arrache à tous mes fiers tyrans, Car je puis sous ce nom comprendre mes parents; J'ai par elle évité cet hymen redoutable, Pour qui j'aurois souffert une mort yéritable ; Et sous cet équipage et le bruit de ma mort , Il faut cacher à tous le secret de mon sort , Pour me voir à l'abri de l'injuste poursuite Qui pourroit dans ces lieux persécuter ma fuite.
^LISE.
Ma surprise en public eût trahi vos désirs; Mais allez là-dedans étouffer des soupirs, Et des charmants transports d^un« pleine allégresse Saisir à votre aspect le cœur de la princesse : Vous la trouverez seule; elle-même a pris soin Que votre abord fiit libre, et n'eût aucun témoin.
SCÈNE V.
D. ALVAR, ÉLISE.
ÉLISE.
Vois- JB pas don Alvar?
n. ALVAR.
Le prince me renvoie Vous prier que pour lui votre crédit s emploie. De ses jours, belle Élise, on doit n'espérer rien, S'il n'obtient par vos soins un moment d'entretien. Son âme à des transports. . . Mais le voici lui-méBie.
ACTE IV, SCÊNË Vl. Sg
SCÈNE VI.
D. GARCIE, ÏK ÂLVÂR, ÉLISE.
1» D. GARCIE.
Ah! sqjfi un peu sensible à ma disgrâce extrême, Elise, et prends pitié d^un cœur infortuné Qu^auz plus vives douleurs tu vois abandonné.
£fIS£.
G^est avec d'autres yeux que ne fait la princesse ^ Seigneur^ <|ae je verrois le tourmetit qui vous jMresM i Mais nous avons dtt ciel, ou du tempérament^ Que nous jugeons de tout chacun diversement; Et puiscju elle vous blâme , et que sa fantaisfe Lui fait un monstre affreux de votre jalousie, Je serois complaisant, et voudrois m'efForcer De cacher à ses yeux ce qui peut les blesser. IM amant suit sans doute une utile méthode, S'il Ëtit qu'à notre humeur la sienne s'accommode; Et cent devoirs font moins que ces ajustements Qui font croire en deux cœurs les mêmes sentiments. L'art de ces deux rapports fortement les assemble, ' Et nous n'aimons rien tant que ce qui nous ressemble.
•
D. GARGIB.
Je le sais : mais, hélas! les destins inhumains S'opposent à YeSët de ces justes desseins, Et, malgré tous mes soins, vieniftnt toujours me tendre Un piège dont mon cœur ne sauroit se défendre.
6o DON GARCIE DE NAVAsRRE.
Ce n'est pas cpie l'ingrate, aux yeux <fe mon rival, N'ait Eût contre mes feux un aveu trop fatal, Et témoigne pour lui des excès de tendresse Dont le cruel objet me reviendra sans cesse : Mais comme trop d ardeur enfin m'avoit séduit Quand j^ai cru qu^en ces lieux elle l'eut introduit^ ' D'un trop cuisant ennui je sentirois Fatteinte A lui laisser sur moi quelque sujet de plainte. Oui , je veux faire au moins , si je m'en vois quitté , Que ce soit de son cœur pure infidélité^ Et, venant m^excuser d^un trait de promptitude. Dérober tout prétexte à son ingratitude.
ELISE.
Laissez un peu de temps à son ressentiment, Et ne la voyez point, seigneur, si promptement.
D. GARCIE.
*
Ah ! si tu me chéris , obtiens que je la voie s .
C'est Une liberté qu'il fîiut qu'elle m'octroie :
Je ne pars point d'ici , qu'au moins son fier dédain. . •
ÉLISE.
De grâce , différez l'effet de ce dessein.
D. GARCIE. t
Non , ne m'oppose point une. excuse frivole.
ELISE, à part.
Il faut que ce soit elle , avec une parole, Qui trouve les moyens de le faire en aller.
(à don Garcie. )
Demeurez donc, seigneur; je m'en vais lui parler^
ACÏE IV, SCÈNE VI. 6i
D. 6ARGIE.
Dis-lui que j^ai d'abord banni de ma présence
Celui dont les avis ont causé mou offense; ^
Que don Lope jamais. . .
i. SCÈNE VIL
D. GARCIE, D. ALVAR.
D. GARCIE, regardant par la porte qu'Élise a laissée
entr'ou verte.
Que vois-je, ô justes cieux! Faut-il que je m'assure au rapport de mes yeux ! Âh! sans doute, ils me sont des témoins trop fidèles. Voilà le comble affireux de mes peines mortelles; Voici le eoup fatal qui devoit m'accabler : Et quand par des soupçons je me sentois troubler, Cétoit, cetoit le ciel, dont la sourde menace Présageoit à mon cœur cette horrible disgrâce.
D. ALYAR.
Qu'avez-vous vu, seigneur, qui vous puisse émouvoir?
D. GARCIE.
fki vu ce que mon âme a^peine à concevoir; Et le renversement de toute la nature Tie m'étonneroit pas comme cette aventure. C'en est fait. . Le destin. . . Je ne saurois parler.
D. ALVAR.
Seigneur, que votre esprit tâcbe à se rappeler. .
D. 6ABCIB«
J'ai vu. • . Vengeance , ô ciel I
69 DON QÂRCIE DE NAVARRE.
QueUe atteinte soudaine, • •
D« GARCIS.
Ten monirai, don Alyar; la chose est bien certaine*
3 D. ÀLVAR.
Mais, Seigneur, qui pourroit. . . '^
Ah! tout est ruiné! Je suis, je suis trahi, je suis assassiné: Un homme (sans mourir te le puis- je bien dire?), Un homme dans les bras de Tinfidèle Elvire !
D. ALYAR*
Ah ! seigneur, la princesse est vertueuse au point, , .
D. GARCI£.
Ah ! sur ce que j^ai vu ne me conteste point , Don Alvar; c en est trop que soutenir sa gloire. Lorsque mes yeu? font foi d'une actiou si noire.
n, ALyAR.
Seigneur, nos passions nous font prendre 30uvent Pour chose véritable un objet décevant; Et de croire qu'uoe âme à la vertu nourrie Se puisse. . .
n. GARCIE«
Don Alvar, laissez-moi, je vous prie : Un conseiller me choquf? ep cettç occasion , Et je ne prends avis que de ma passion.
D. 4.LVAR, à part*
n ne faut rien répondre à cet esprit £u:ouche.
ACTE IV, SCÈNE VIL 63
0. GAKGIS.
Al! que simaiblaDezit cette atteinte me touche! Mais il faut voir qui c'est , et de ma main punir. • • La voici. Ma fureur^ te peux-tu retenir ?
SCÈNE vni. '
DONE ELVWE, D. GARCIE, D. ALVAR.
DONE ELVIRE.
Hi bien! que voulez-vous? et quel espoir de grâce} Après vos procédés, peut flatter votre audace? Osez-vous à mes yeux encor vous présenter? Et que me direz-vous que je doive écouter?
D. GARCIE.
Que toutes les horreurs dont une âme est capable A vos déloyautés n'ont rien de comparable; Qae le sort, les démons, et le ciel en courroux, N ont jamais rien produit de si méchant que vous.
DONB ELVIRE.
Ahl vraiment j'attendois l'excuse d'un outrage, Mais, à ce que je vois, c'est un autre langage*
n. GARCIE.
Oui , oui, c en est ua autre ; et voust n^atteudiez pas Que j'eusse découvert le tfaitré dans vos bras; Qu'un funeste hasaid, par la porte entrouverte,. Eût offert à mes yeux votre honte et ma perte. Est-ce l'heureux amant sur ses pas revefiiu. Ou quelque autre rival qui mutait inconnu?
64 DON GARCIE DE NAVARRE.
O ciel, donne à mon cœur des forces suffisantes
Poui: pouvoir supporter des douleurs si cuisantes !
Rougissez maintenant, vous en avez raison,
Et le masque est levé de votre trahison.
Voilà ce que iflarquoient les troubles de mon âme ,
Ce n'étoit pas en vain que s^alarmoit pia flamme; '
Par ces fréquents soupçons qu'on trôuvoit odieux,
Je cherchois le malheur qu'ont rencontré mes yeux-^
Et, malgré tous vos soins et votre adresse à feindre,
Mon astre me disoit ce que j^avois à craindre.
Mais ne présumez pas q«e, sans être vengé.
Je sou£Sre le dépit de me voir outragé.
Je sais que sur les vœux on n'a point de puissance ^
Que l'amour veut partout naître sans dépendance,
Que jamais par la force on n'entra dans un cœur j
Et que toute âme est libre à nommer son vainqueur :
Aussi ne trouverois-je aucun sujet de plainte,
Si pour moi votre bouche a voit parlé sans feinte ; *
Et , son arrêt livrant mon espoir à la mort ,
Mc^n cœur n auroit eu droit de s'en prendre qu'au sort.
Mais d'un aveu trompeur voir ma flamme applaudie,
C est une trahison, c'est une perfidie.
Qui ne sauroit trouver de trop grands châtiments;
Et je puis tout permettre à mes ressentiments.
Non , non , n espérez rien après un tel outrage ;
Je ne suis plus à moi , je suis tout à la rage.
Trahi de tous cfttés, mis dans un triste état ,
Il faut que mon amour se venge avec éclat,
ACTE IV, SCÈNE VIII. 65
Qulci j'immole tout â ma fureur extrême, Et que mou désespoir achève par moi>-même.
DÔNE ELVIRE.
Assez pabiblement vous a-t-^n écouté? Et pourrai- je à mon tour parler eu liberté?
D. GARCIE.
Et par quels beaux discours que l'artifice inspire* . .
DONE ELVIKE.
Si vous avez encor quelque chose à me dire, Vous pouvez rajouter, je suis prête à Touïr; SiuoD, faites au moins que je puisse jouir De deux ou trois moments de paisible audience.
D. GARCIE.
Hé bien! j'écoute. O ciel! quelle est ma patience!
DONE ELVIRE.
Je force ma colère, et veux, sans nulle aigreur, Répondre à ce discours si rempli de fureur.
D. GARCIE.
C'est que vous voyez bien. . .
DONE ELVIRB.
^ Ah ! j'ai prêté Foreille Autant qu'il vous a plu; rendez-moi la pareille. J'admire mon destin, et jamais sous les cîeux 11 ne fut rien , je crois , de si prodigieux , Rien dont la nouveauté soit plus inconcevable, Et rien que la raison rende moins supportable. Je me vois un amant qui , sans se rebuter , Applique tous ses soins à me persécuter*,
MoLlàAE. 2.
66 DON GARCIE DE NAVARRE.
Qui, dans tout cet amour que sa bouche m exprime ^ Ne conserve pour moi nul sentiment d estime; Rien au fond de ce cœur qu'ont pu blesser mes yeux Qui ùisse droit au sang que j ai reçu des cieux. Et de mes actions dé&nde Tinnocence Contre le moindre effort d'une fausse apparence. Oui, je vois...
( Don Garcie- montre de Timpatience pour parler. )
Ah! surtout ne m'interrompez point. Je vois, dis- je, mon sort malheureux à ce point. Qu'un cœur qui dit qu'il m'aime ; et qui doit faire croire Que, quand tout l'univers douteroit de ma gloire. Il voudroit contre tous en être le garant. Est celui qui s'en fait lennemi le plus grand. On ne voit échapper aux soins que prend sa flamme Aucune occasion de soupçonner mon âme : Mais c'est peu des soupçons; il en fait des éclats Que, sans être blessé, l'amour ne souffre pas. Loin d'agir en amant qui, plus que la mort même, Appréhende toujours d'offenser ce qu'il aime , Qui se plaint doucement, et cherche avec respect A pouvoir s eclaircir de ce qu'il croit suspect, A toute extrémité dans ses doutes il passe. Et ce n'est que fureur, qu'injure et que menace. Cependant aujourd'hui je veux fermer les yeux Sur tout ce qui devroit me le rendre odieux. Et lui donner moyen , par une bonté pure , De tirer son salut d'une nouvelle injure.
ACTE, IV, SCÈNE VIII. 67
Ce grand emportement qu^U ];aa fallu souffirir Part de ce qu'à td6 yeux le hasard yi^ût d^offrir* J'aurois tort de vouloir démentir votre vue , Et votre âme sans doute a dû parojitre imue«
D, GARCIE.
Et n'est-ce pas,..
DOUB £LyiR£.
Encore un peu d^attentioui Et vous allez savoir ma résolution, n faut que de nous deux le destin s accomplisse. ^ Vous êtes maintenant sur un grand précipice; Et ce que votre cœur pourra délibérer Va vous y faire choir, ou bien vous en tirer. Si y malgré cet objet qui vous a pu surprendre, Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre , Et ne demandez point d'autre preuve que moi Pour condamner l'erreur du trouble où je vous voi; Si de vos sentiments la prompte déférence Veut sur ma seule foi croire mon innocence ^ Et de tous vos soupçons démentir le crédit, Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit ^ Cette soumission, cette marque d'estime, Du passé dans ce cœur eSace tout le crime ; Je rétracte à l'instant ce qu'un juste courroux M'a fait dans la chaleiir prononcer contre vous 3 Et si je puis 'un jour choisir ma destinée Sans choquer les devoirs du rang où je suis née ^ Mon honneur ) satisfait par ce respect soudain ^
68 DON ÔARCIE t)E NAVARRE.
Piomet à votre amour et mes vœux et ma main.
Mais, prêtez bien l'oreille à ce que je vais dire,
Si cette offire sur vous obtient si peu d'empire
Que vous me refusiez de me faire entre nous
Un sacrifice entier de vos soupçons jaloux;
S'il ne vous suffit pas de toute lassurance
■Que vous peuvent donner mon cœur et ma naissance.,
Et que de votre esprit les ombrages puissants
Forcent mon innocence à convaincre vos sens.
Et porter à vos yeux Téclatcint témoignage
D'une vertu siilcère à qui Ton fait outrage ,
Je suis prête à le faire, et vous serez content :
Maia il vous &ut de moi détacher à l'instant,
A mes vœux pour jamais renoncer de vous-même :
Et j'atteste du ciel la puissance suprême
Que, quoi que le destin puisse ordonner de nous,
Je choisirai plutôt d'être à la mort qu'à vous.
Voilà dans ces deux choix de quoi vous satisfaire :
Avisez maintenant celui qui peut vous plaire.
D. GARCIE.
Juste ciel! jamais rien peut-il être inventé Avec plus ^d'artifice et de déloyauté! Tout ce que des enfers la malice étudie A-t-il rien de si noir que cette perfidie ! Et peut-elle trouver dails toute sa rigueur Un plus cruel moyen d'embarrasser un cœur! Ah! que vous savez bien ici contre moi-même. Ingrate, vous servir de ma foiblesse extrême, •
ACTE IV, SCÈNE VIII. . 69
Et ménager pour vous l'effort prodigienz De ce fatal ao^our né deyos traîtres y^ux.!. Parce qu'on est surprime et qu'on manque d'eiLCUse, D'une offire de pardon on emprunte la ruse : Votre feinte douceur forge un amusement Pour divertîr l'eftet de mon ressentiment; Et, par le nœud subtil du choix qu'elle embarrasse, Veut soustraire un perfide au coup qui le menace. Oui, vos dextérités veulent me détourner D'un éclaircissement qui vous doit condamner; Et votre âme , feignant une innocence entière , Ne s'o£Bre, à m'en donner une pleine lumière Qu'à des conditions qu^après d^ardents souhaits Vous pensez que mon cœur n'acceptera jamais. Mais vous serez trompée en me croyant surprendre : Ouï, oui , je prétends voir ce qui doit vous défendre , Et quel Ëimeux prodige, accusant ma fureur, Peut de ce que j'ai vu justifier l'horreur.
DONE ELVlRE.
Songez que par ce choix vous allez vous prescrire De ne plus rien prétendre au cœur de done Elvire.
I). GARClE.
* Soit : je souscris à tout; et mes vœux aussi-bien, En l'état où je suis, ne prétendent plus rien.
DONE ELVIRE.
Vous vous repentirez de l'éclat que vous Êiites.
. D. IG^ARCIE.
Non, non, tous ces ^scours sont de y^ipes défîtes;
70 DOIÎ ÔÀftClËbE NAVARRE.
Et c'est moi bien plutôt qui dois vous avertir Que quelque autre dam peu se pouita repentir : Le traître, quel qu'il soit, n'aura pas l'avantage De dérober sa vie à Feifort de ma rage.
nONE ELVIRE.
^ Ah! c'est trop çri souffrir; et mon cœur irrité Ne doit plus conserver une sotte bonté; Abandonnons l'ingrat à son propre caprice; Et, puisqu'il veut périr, consentons qu'il périsse.
( à don Garcie. ^
Élise. . . à cet éclat vous voulez me forcer;
Mais je vous apprendrai que c*est trop m'offenser:
SCÈNE IX. DONE ELVIRE, D. GARCIE, ÉLISE, D, ALYAR.
DONS ELVIUE, à Élise.
Faites un peu sortir la personne chérie. . . Allez, vous m entendez, dites que je l'en prie.
D. GARCIE.
Et je puis. . .
DONE ELVIRE.
Attendez , vous serez satisfait.
ÉLISE, à part, en sortant.
Voici de son jaloux sans doute tm nouveau trait.
DONB BLVIHE.
Prenez garde qu'au moins cette noble colèi^e
ACTE IV, SCÈNE IX. yç
Dans la même fierté jusqu'au bout persévère;
Et surtout désormais songez bien à quel prix >
Vous ayez voulu voir vos soupçons éclaircis.
SCÈNE X.
DONE ELVIRE, D. GARCIE; DONE IGNÉS, DÉGUISÉE EN homme; ÉLISE, D. ALVAR.
DONE ELVIRE,à don Garcîe, en lui montrant done Ignés.
Voici, grâces au ciel, ce qui les a fait naître
Ces soupçons obligeants que l'on me fait paroitre;
Voyez bien ce visage, et si de done Ignés
Vos yeux au même instant n'y connoissent les traits.
D. 6ARGIE.
Ociel!
DONE ELVIRE.
Si la fureur dont votre âme est émue Vous trouble jusque-là l'usage de la vue, Vous avez d'autres yeux à pouvoir consulter, Qui ne vous laisseront aucun lieu de douter. Sa mort est une adresse au besoin inventée Pour fuir l'autorité qui Ta persécutée ; Et sous un tel habit elle cachoit son sort Pour mieux jouir du finit de cette feinte mort.
( k done Ignè«. )
Madame , pardonnez s il faut que je consente A trahir vos secrets et tromper votre attente : Je me vois exposée à sa témérité >
711 DON GARCIE DE NAVARRE.
Toutew«i mes actions n'ont plus de liberté ;
Et mon honnçur, en butte aux soupçonsqu'il peut pren4re ,
Est réduit à toute heure aux soins de se défendre.
Nos doux embrassements, qu'a surpris ce jaloux,
De cent indignités m'ont fkit^souflBrir les coups.
Qui , voilà le sujet d^une fureur si prompte ,
Et rassuré témoin qu'on produit de ma honte.
( à don Garcie.)
Jouissez à cette heure en tyran absolu De l'éclaircissement que vous avez voulu : Mais sachez que j'aurai sans cesse la mémoire De Foutrage sanglant qu'on a fait à ma gloire , Et, si je puis jamais oublier mes serments, Tombent sur moi du ciel les plus grands châtiments. Qu un tonnerre éclatant mette ma tête en poudre, (lOrsqu à souffrir vos feux je pourrai me résoudre ! Allons, madanie, allons, ôtons-noiis de ces Ueux Qu'infectent les regéirds d\ui monstre fi^rieux; Fuyons-en promptement Fatteinle enveninjée j Evitons les effets de sa rage animée, Et ne faisons des vœux, dans nos justes desseins. Que pour nous voir bientôt afl^anchir de ses mains.
DONE IGNÉS, à dan Garcie^
Çeigneur, de vos soupçons l'injuste violence A la même vertu vient de faire une offense.
ACTE IV, SCÈNE XI. 73
SCÈNE Xî.
D. GARCIE, D. ALVAR.
D. 6ARGIE.
Quelles tristes clartés, dissipant mon erreur, Enveloppnt mes sens d'une profonde horreur, Et ne laissent plus voir à mon âme abattue Que FeABroyable objet dHxn remords qui me tue! Ah! don Alvar, je vois que vous avez raison; Mais l'enfer dans mon cœur a soufflé son poison , Et, par un trait fatal de sa rigueur extrême , Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même. Que me sert-il d'aimer du plus ardent amour Qu'une âme consumée ait jamais mis au joui^, Sij par ces mouvements qui font toute ma peine, Cet amour à tout coup se rend digne de haine? Il faut, il faut venger par mon juste trépas L'outrage que j'ai fait à ses divins appas ; Aussi-bien quels conseils aujourd'hui puis- je suivre? Ah! j'ai perdu l'objet pour qui j'aimois à vivre. Si j'ai pu renoncer à Tespoir de ses vœux, Renoncer à la vie est beaucoup moins fâcheux.
D. ALVAR.
Seigneur. • .
D. GARCIE.
Non, don Alvar, ma mort est nécessaire; D n est soins ni raisons qui m'en puissent distraire ; Mais il faut que mon sort, en se précipitant ^
74 DON GARGIE DE NAVARRE.
Rende à cette princesse an service éclatant;
Et je veux me chercher dans cette illustre envie
Les moyens glorieux de sortir de la vie,
Faire, par un grand coup qui signale ma foi,
Qu'en expirant pour elle elle ait regret à moi,
Et qu^elle puisse dire en se yoyant yeilgée :
ce C^est par son trop d'amour qu'il m aypit outragée^ »
Il faut que de ma main un illustre attentat
Porte une mort trop due au sein de Maurégat,
Que j^aille prévenir par une belle audace
Le coup dont la Castille avec bruit le menace ;
Et j'aurai la douceur, dans mon instant fatal ,
De ravir cette gloire à Fespoir d'un ri^al.
D. ALVAR.
Un service , seigneur, de cette conséquence Auroit bien le pouvoir d'efiacer votre offense ; Mais hasarder. . .
_ D. GARGIE.
Allons, par un juste devoir. Faire à ce noble eflfort servir mon désespoir.
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
DON GARCIE DE NAVARRE. 78
ACTE CINQUIÈME.
SCÈNE L
.D. ALVAR, ÉLISE.
D. ALVAR.
Oui, jamais il ne fut de si rude surprise.
Il venoit de former cette haute entreprise ;
 Tavide désir d'immoler Màurégat
De son prompt désespoir il toumoit tout l'éclat;
Ses soins précipités youloient â son courage
De cette juste mort assurer layantage,
Y chercher son pardon, et prévenir Fennui
QuW rival partageât cette gloire avec lui;
II sortoit de ces murs ; quand un bruit trop fidèle
Est venu lui porter la fâcheuse nouvelle
Que ce même rival qu'il vouloit prévenir
A remporté l'honneur qu il pensoit obtenir ^
L'a prévenu lui-même en immolant le traître, ,
Et poussé dans ce jour don Alphonse à paroître,
Qui dun si prompt succès va goûter la douceur,
Et vient prendre en ces lieux la princesse sa soeur
Et, ce qui n'a pas peine à gagner là croyance ,
On entend publier que c^est la récompense
Dont il prétend payer le service éclatant
Du bras qui lui &it jour au trône qui l'attend.
76 DON GARCIE DE NAVARRE.
' Oui, done Elvîre a su ces nouvelles semées, Et du vieux don Louis les trouve confirmées, Qui vient de lui mander que Léon dans ce jour De don Alphoi^se et d'elle attend Fheureux retour; Et que c'est là qu'on doit, par un revers prospère, Lui voir prendre un époux de la main de ce frère. Dans ce peu qu'il en dit, il donne assez à voir . Que don Sylve est Fépoux qu elle doit recevoir,
D. ALVAK.
Ce coup au cœur du prince. . •
ELISE.
Es^t sans doute bien rudej Et je le trouve à plaindre en son inquiétude. Son intérêt pourtant, si j^en ai bien jugé, Est encor cher au cœur qu'il a tant outragé; Et je n'ai point connu qu'à ce succès qu on vante La princesse ait fait voir une âme fort contente De ce frère qui vient, et de la Içttre aussi : Mais...
• SCÈNE II.
»
DONE ELVIRE; DONE IGNÉS, déguisée en homme; élise, DON ALVAR.
DONE ELVIRE.
Faites, don Alvair, venix le prince ici..
( Don AlVar sort. ) *
Souffi'ez que devant vous je lui parle, madame,
ACTE V, SCÈNE IL 77
Sur cet ëyénement dont on surprend mon âme ;
Et ne m'accusez point d'un trop prompt changement,
Si je perds contre lui tout mon ressentiment.
Sa disgrâce imprévue a pris droit de Téteindre ;
Sans lui laisser ma haine , il est assez à plaindre ;
Et le ciel, qui Texpose à ce trait de rigueur,
Wa que trop bien servi les serments de mon cœur.
Un éclatant arrêt de ma gloire outragée
A jamais n'être à lui me tenoit engagée :
Mais, quand par les destins il est exécuté ,
J'y vois pour son amour trop de sévérité ; •
Et le triste succès de tout ce qu'il m'adresse
ITefiace son offense et lui rend ma tendresse.
Oui, mon cœur, trop vengé par de si rudes coups,
Laisse à leur cruauté désarmer son courroux ,
Et cherche maiïitenant, par .un soin pitoyable,
 consoler le sort d'un amant misérable :
Et je crois que sa flamme a bien pu mériter
Cette compassion que je lui veux prêter.
DONE IGNÉS.
w
Madame, on auroit tort de, trouver à redire Aux tendres sentiments qu'on voit qu'il vous inspire» Ce qu'il a fait pour vous. . . Il vient, et sa pâleur De ce coup surprenant marque assez la douleur.
78 DON GARCIE DE MAVARRE.
SCÈNE IIL D. GARCIE, DONE ELVIRE; DONE IGNÉS,
DÉGUISÉE EN HOM,ME; ÉLISE. D. GARCIE.
Madame, ayec quel front faut-il que je m'avance, Quand je viens vous oiErir Todieuse présence. . . ?
DONS ELVIRE»
Prince, ne parlons plus de mon ressentiment : Votre sort dans mon âme a Êiit du changement; Et, par le triste état où sa rigueur vous jette, Ma colère est éteinte, et notre paix est faite. Oui, bien que votre amour ait mérité les coups Que &it sur lui du ciel éclater le courroux; Bien que ces noirs soupçons aient offensé ma gloire Par des indignités qu'on auroit peine à croire; Javoûrai toutefois que je plains son malheur Jusqu'à voir nos succès avec quelque douleur; Que je hais les faveurs de ce fameux service, Lorsqu'on veut de mou cœur lui faire un sacrifice. Et voudrois bien pouvoir racheter les moments Ou le sort contre vous n'armoit que mes serments. Mais enfin vous savez comme nos destinées Aux intérêts publics sont toujours enchaînées, Et que Tordre des cieux, pour disposer de moi. Dans mon frère qui vient me va montrer mon roi. Cédez comme moi , prince , à cette violence Où la grandeur soumet celles de ma naissance;
ACTE V, SCÈNE III. 79
Et, si de votre amour les déplaisirs sont grands , Qu'il se fasse un secours de la part que j'y prends , Et ne se serve point, contre un coup qui Fétonne , Du pouvoir qu^en^ces lieux votre valeur vous donne : Ce vous seroit sans doute un indigne transport De vouloir dans vos maux lutter contre le sort : Et, lorsque c'est en vain qu'on s'oppose à sa rage, La soumission prompte est grandeur de courage. Ne résistez donc point à ces coups éclatants-, Ouvrez les murs d'Astorgue au frère que j attends: Laissez-moi rendre aux droits qu'il peut sur moi prétendre Ce que mon triste cœur a résolu de rendre ; Et ce fatal hommage oh mes vœux sont forcés Peut-être n'ira pas si loin que vous pensez.
D. GÀRGIE.
C'est faire voir, madame, une bonté trop rare
Que vouloir adoucir le coup qu'on me prépare ;
Sur moi, sans de tels soins, vous pouvez laisser choir
Le foudre rigoureux de tout votre devoir.
En l'état où je suis je n'ai rien à vous dire.
J'ai mérité du sort tout ce qu'il a de pire ;
Et je sais , quelques maux qu'il me faille endurer,
Que je me suis ôté le droit d'en murmurer.
Par où pourrois-je, hélas! dans ma vaste disgrâce.
Vers vous de quelque plainte autoriser laudace?
Mon ammir s est rendu mille fois odieux ;
D n'a fiiit qu'outrager vos attraits glorieux ;
Et lorsque, par un juste et fameux sacrifice ,
8o DON GARCIE DE NAVARRE.
Mon bras à votre sang cherche à rendre un service, Mon astre m'abandonne au déplaisir fatal De me voir prévenu par le bras d'un rival. Madame, après cela je n'ai rien à prétendre; Je suis digne du coup que Ton me ùdt attendre; Et je le vois venir sans oser contre lui Tenter de votre cœur le favorable appui. Ce qui peut me rester dans mon malheur extrême, Cest de chercher alors mon remède en moi<-méme, Et faire que ma mort, propice à mes désirs, A£Branchisse mon cœur de tous ses déplaisirs. Oui, bientôt dans ces lieux don Alphonse doit être , Et déjà mon rival commence de paroître : De Léon vers ces murs il semble avoir volé Pour recevoir le prix du tyran immolé. Ne craignez point du tout qu'aucune résistance Fasse valoir ici ce que j'ai de puissance : n n est effort humain que, pour vous conserver, Si vous y consentiez , je ne pusse braver. Mais ce n'est pas à moi, dont on hait la mémoire, A pouvoir espérer cet aveu plein de gloire; Et je ne voudrois pas , par des efforts trop vains. Jeter le moindre obstacle à vo^ justes desseins : . Non , je ne contrains point vos sentiments , madame ; Je vais en liberté laisser toute votre âme , Ouvrir les murs d'Astorgue à cet heureux vainqueur, Et subir de mon sort la dernière rigueur.
ACTE V, SCÈNE ly. 8i
SCÈNE IV.
DONE ELVIRE; DONE IGNÉS, D^GinsÉE en homme;
ÉLISE.
I>ON£ ELVIRE. '
Madame , au désespoir où son destin Fexpose De tous mes déplaisirs n'imputez point la cause. Vous me rendrez justice en croyant que mon cœur Fait de vos intérêts sa plus vive douleur ; Que bien plus que lamour l'amitié m'est sensible^ Et que si je me plains d^une disgrâce horrible , Cesi de voir que du ciel le funeste courroux Ait pris chez moi les traits quHl lance contre vous y Et rendu mes regards coupables d'une flamme Qui traite indignement les bontés de votre âme.
DONE IGNÉS.
C'est un événement dont sans doute vos yeux
MWt point pour moi, madame, à quereller les cieux.
Si les foibles attraits qu'étale mon visage
IVTexposoiait au destin de souffirir un volage,
Le ciel ne pouvoit mieux m'adoucir de tels coups ,
Quand , pour m'ôter ce cœur , il s'est servi de, vous ;
Et mon front ne doit point rougir d'une inconstance
Qui de vos traits aux miens marque la différence.
Si pour ce changement je pousse des soupirs,
Os viennent de le voir fatal à vos désirs;
Et, dans cette douleur, que 1 amitié m^cxcite,
Je m'accuse pour vous de mon peu de mérite,
MoLiinE. îi. 0
8a DON GARCIE DE NAVARRE.
Qui n^a pu retenir un cœur doHt les tributs Causent un si grand trouble â yos yœux combattus.
DOITE ELVIRE.
Accusez-vous plutôt de l'injuste silence
Qui m'a de yos deux cœurs caché l'intelligence.
Ce secret, plus tôt su, peut-être à toutes deux
Nous auroit épargné des troubles si fâcheux;
Et mes justes froideurs, des désirs d\in yolage
Au point de leur naissance ayant banni Fhommage^
Eussent pu rcnyoyer. . .
DONE IGKÈS.
Madame, le voici.
DONE ELVIRE.
Sans rencontrer ses yeux vous pouvez être ici : Ne sortez point, madame ; et dans un tel martyre^ Veuillez être témoin de ce que je vais dire.
noNE iGNis. Madame, j'y consens, quoique je sache bien Qu'on fuiroit en ma place un pareil entretien^
DONE ELVIRE.
Son succès, si le ciel secondé ma pensée, Madame, n'aura rien dont vous soyez Uessée.
ACTE V, SCÈNE V.
iB
SCÈNE. V.
D. ALPHONSE, cko D. SYLVEj DONE ELVIREj DONE tGNÈS, J>iovaéz en homme; ÉLISE.
DONS EIiTIRE.
Avant que vous pariiez, je demande instamment
Que TOUS daigniez, seigneur, m écouter un moment.
Déjà la renommée a jusqu'à nos oreilles
Porté de yotre bras les soudaines merveilles;
Et j'admire ayec tous comme en si peu de temps
Il donne à nos destins ces succès éclatant^. '
Je sais bien qu'un bienfait de cette conséquence'
Ne sauroit demander trop de reconnoissance,
Et qu'on doit toute chose à l'exploit immortel
Qui replace mon frère au trône paternel.
Mais, quoi que de son cœur vous o£Grent les hommages ^
Usez en généreux de tous vos avantages,
Et ne permettez pas que ce coup glorieux
Jette sur moi, seigneur, un joug impérieux :
Que yotre amour, qui sait quel intérêt m'anime,
S obstine à triompher d un refus légitime ,
Et yeniUe que ce frère, où l'on va m'exposer,
Commence d'être roi pdur me tyranniser*
Léon 'a d autres prix dont, en cette occurrence,
n peut mieux honorer votre haute vaillance :
Et c'est à vos vertus faire un présent trop bas
Que vous donner un cœur qui ne se donne pas«
84 DON GARCIE DE 3ÎAVARRE.
Peut-on être jamais satisÊiIt en soi-même,
Lorsque par la contrainte on obtient ce qu'on aime?
Cest un triste avantage; et l'amant généreux
A ces conditions refuse d'être heureux :
Il ne veut rien devoir à cette violence
Qu'exercent sur nos coeurs les droits de la naissance ,
Et pour l'objet qu'il aime est toujours trop zélé
Pour souffrir qu'en victime il lui soit immolé.
Ce n'est pas que ce coeur au mérite d'un autre
Prétende, réserver ce qu'il refuse au vôtre :
Non , seigneur, j'en réponds , et vous donne ma foi
Que personne jamais n'aura pouvoir sur moi;
Qu'une sainte retraite à toute autre poursuite. . .
D. ALPHONSE.
J'ai de votre discours assez souffert la suite,
Madame; et par deux mots je vous l'eusse épargné,
Si votre Êiusse alarme eût sur vous moins gagné. .
Je sais qu un bruit commun , qui partout se fait croire ,
De la mort du tyran me veut donner la gloire;
Mais le seul peuple enfin, comme on nous fait savoir,
Laissant par don Louis échauffer son devoir,
A remporté l'honneur de cet acte héroïque
Dont mon nom est chargé par la rumeur publique :
Et ce qui d'un tel bruit a fourni le sujet.
C'est que., pour appuyer son illustre projet.
Don Louis fit semer, par une feinte utile^
Que , secondé des miens , j'avois saisi la ville :
£t par cette nouvelle il a poussé les bras
ACTE ?, SCÈNE V. 85
Qui d^un usurpateur ont hâté le trépas;
Par son zèle prudent il a su tout conduire ,
Et c*est par un des siens qu'il vient de m en instruire.
Mais dans le même instant un secret m'est appris ;
Qui va TOUS étonner autant qu'il m'a surpris.
Vous attendez un ùëre , et L^on son vrai maitre :
 vos yeux maiBtenant le ciel le fait paioitre :
Oui, je sub don Alphonse; et mon SQrt conservé,
Et sous le nom 4u sang de Castille élevé,
Est un fameux efiet de Tamitié sincère
Qui fut entre son prince et le roi notre père.
Don Louis du secret a toutes les clartés,
Et doit aux yeux de tous prouver ces vérités.
D^autres soins maintenant occupent ma pensée ^
Non qu à votre sujet elle soit traversée,
Que ma flamme querelle un tel événement.
Et qu'en mon cœur le firère importune Tamant. .
Mes feux par ce secret ont reçu sans murmure
Le changement qu^en eux a prescrit la nature ;
Et le sang qui nous joint m a si bien détaché
De l'amour dont pour vous mon cœur étoit touché.
Qu'il ne respire plus , pour Êiveur souveraine ,
Qu-e les chères douceurs de sa première chaîne,
Et le moyen de rendre à l'adorable Ignés
Ce que de ses bontés a. mérité L'excès,
Mais son sort incertain. rend le mien misérable :
Et, si ce qu'on en dit se trouvoit véritable,
En vain Léon m appelle et le trône, m'attend;
86 DON GARCIE DE HAVARRE.
La couronne n'a rien à me rendre content, £t je n'en yeux l'éclat que pour goûter la joie D'en couronner Fobjet où le ciel me renvoie, Et pouvoir réparer par ces justes tributs L'outrage que j'ai fait à ses rares vertus» Madame 9 c'est de vous que j'ai raison d attendre Ce que de son destin mon âme peut apprendre ; Instruisez-m'en, de grâce; et, par votre di^ours, Hâtez mon désespoir, ou le bien de mes jours*
DONS ELVIKE.
Ke vous étonnez pas si je tarde à répondre, Seigneur; ces nouveautés ont droit de me confondre. Je n^entreprendrai point de dire h votre amour Si done Ignès est morte , ou respire le jour; Mais par ce cavalier, l'un de ses plus.fîdèles , Vous en pourrez sans douté apprendre des nouvelles.
D. ALPHONSE, reconnoissant done Ignès.
Ah! madame, il m'est doux en ces p^rj^exités De voir ici briller vos célestes beautés. Mais vous , avec quels yeux verrez-vous un volage Dont le crime. , .
DONE IGNÉS,
Ah ! gardez de me taire un outrage , Et de vous hasarder à dire que vers moi Un cœur dont j'ai fait cas ait pu manquer de foi : Ten refuse l'idée , et l'excuse me blesse. Rien n'a pu m'oitènser auprès de la princesse; Et tout ce que d ardeur elle vous a causé
ACTE V, SCÈNE V. 8;
Par un si haut mérite est assez excusé. Cette flamme vers moi ne vous rend point coupable; Et, dans le DX)ble orgued dont je me sens capable, Sachez , si tous Tétiez , que ce seroit en yain Que vous présumeriez de fléchir mon dédain, Et qu'il n'est repentir, ni suprême puissance , Qui gagnât sur mon cœur d^oabliert:ette offense*
DONE £LytRS<<
Mon frère, d'un tel nom souflS:ez-moi la douceur. De quel ravissement comblez-vous une sœur ! Que» j'aime votre choix, et bénis l'aventure Qui vous Ëiit couronner une amitié si pure ! Et de deux.XM)bIes cœurs que j'aîme tendrement.. .
SCÈNE VI.
D. GARCIE, DONE ELVIRE; DONE IGNÉS, DÉGUISAS EN homve; D. ALPHONSE, cmjj D. SYLYE; ÉUSE.
D. GABCIE.
De grâce, cachez-moi votre contentement. Madame, et me laissez mourir dans la croyance Que le devoir vous fait un ]^eu de violence. Je sais que de vos vœux vous pouvez disposer, Et mon dessein n est pas de leur rien opposer; Vous le voyez assez , et quelle obéissance De vos commandements m'arrache la puissance : Mais je vous avoûrai que cette gaieté Surprend au dépourvui toute ma fermeté,
88 DON ÔARCIE DÉ NAVARRE.
Et qu'un pareil objet dans mon âme &it naître
Un transport dont fai peur qnè je ne soîs pas maitre;
Et je me punirois . s'il m ayoit pu tirer
De ce respect soumis où je veux demeurer.
Oui, vos commandements ont prescrit à mon âme
De souf&ir sans édat le malheur de ma flamme;
Cet ordre sur mon cœur doit être tout-puissant,
Et je prétends mourir en vous obéissant :
Mais, encore une fois, la joie oii je vous treuve '
M'expose à la rigueur d'une trop rude éjpreuve,
Et Tâme la plus sage en ces occasions '
Répond malaisément de ses émbtîbiis'.
Madame , épargnez-moi cette cruelle atteinte j ■
Donnez-moi par pitié deux moments de contrainte;
Et, quoi que d'un rival vous inspirent les soins,
N en rendez pas mes yeux les malheureil;x témoins : '
C'est la moindre iaveur qu'on peut, je cbois-, prétendre ,
Lorsque dans ma disgrâce un amant peut descendre.
Je ne l'exige pas , madame, pour long-temps,
Et bientôt mon départ rendra vos vcèùx Obritcùts. •
Je vais où de ses feux mon âme consumée"
N'apprendra votre hymen que par la renommée :
Ce n'est pas un spectacle où je doive courir^ '
Madame; sans le voir, j en saurai bien mounr.;
»
DONE IGNÉS.
Seigaeur, permettez-moi de blâmer Votre plaînie. De vos maux la princesse a su jparoître atteinte; Et cette joie encor^ de quoi vous murmurer y
ACTE V, SCÈNE VL 89
Ne lui vient que des biens qui vous sont préparés. Elle goAte un succès à vos désirs prospère , Et dans votre rival elle trouve son frère ; Cest don Alphonse enfin dont on a tant parlé , Et ce Êtmeujt secret Tient d'être dévoilé.
b. ALFHONSB.
Mon cœur, grâces au ciel, après un long martyre, Seigneur, sa&s vous rien prendre, a tout ce qu'il désire, Et goûte d'autant mieux sdn bonheur en ce jour. Qu'il se voit en état de servir votre amour.
D. GARGIE.
Hélas! cette bonté, seigneur, doit me confondre;
A mes plus chers désirs elle daigne- répondre.
Le coup que je craignois, le ciel Ta détourné, -
Et tout autre que moi Éè verrott fortuné :
Mais ces douces clartés d'un secret favorable
Vers l'objet adoré me découvrent coupable;
Et, tombé de nouveau dans ces traîtres soupçons,
Sur quoi Ton m'a tant fait d'inutiles leçons.
Et par qui mon ardeur, si souvent odieuse ,
Doit perdre tout espoir d'être à jamais heureuse. . ,
Oui , l'on doit me haïr avec trop de raison ;
Moi-même je me trouve indigne de pardon ;
Et, quelque heureux succès que le sort me présente,
La mort, la seule mort est toute mon attente.
DON£ ELVIRE.
Non , non ; de ce transport le soumis mouvement, Prince, jette en' mon âme un plus doux sentiment.
g6 DON GARCIE DE NAVARRE.
Par lui de mes serments je me sens détachée ;
Vos plaintes 9 vos respects, yos douleurs mont touchée^
Jy vois partout briller un excès d'amitié,
Et votre maladie est digne de pitié.
Je vois 9 prince , je vois qu'on doit quelque indulgence
Aux défauts où du ciel fait pencher Tinfluence;
Et , pour tout dire enfin , jaloux ou non jaloux ,
Mon roi, sans me gêner, peut me donner À vous,
^ D. GA&CIE.
Ciel , dans l'excès des biens que cet aveu m^octroie , Rends capable mon cœur de supporter sa joie!
D. ALPHONSE.
Je veux que pet hym^n , après nos vains débats, Seigneur, joigne à jamais nos cœiïts et nos État;. Mais ici le temps presse, ef Léon nous appelle; , Allons dans nos plaisirs satisÊdre son zèle. Et, par notre présence et nos soins diffîrents. Donner le dernier coup du parti des tyrans.
FIN DE DON GARCIE DE NAVARRE.
RÉFLEXIONS
SUR
DON GARCIE DE NAVARRE.
JuA jalousie eéi une des passions les plus propres à réussir au théâtre. Molière essaya pour là première fois de la peindre dans cette pièce; ' mais il échoua ; et le peu de succès dé son entreprise lui fît deviner les moyens de présenter cette pas- sion sous les véritables couleurs qu'elle doit avoir da''ns la co- médie. La jalousie est une passion très-sérreuse : elle fait le tourment de ceux qui eu sont atteints : tout est pour eux ma-» tière de Soupçons et d'inquiétudes; et l'aveuglement qui les égare leur fait souvent commettre deis injustices : maïs ce travers , qui rend aussi malheureux ceux qui s'y abandonnent que celles qui en sont l'objet, n'est pas susceptible d'intéres- ser au théâtre comique : on ne prend aucune part aux visious qui en sont la suite ; et l'homme jaloux ne peut même espérer d'être plaint.
Le ridicule de cette passion est donc le seul^côté par lequel on peut la présenter avec succès sur la scène comique. Aussi Molière, éclairé par l'acceuil froid qu'on fit à don Garcie, ne peignit plus la jalousie quedans desrôles plaisans. Sganarelle et Arnolphe * offrirent ce travers dans toute son énergie : on ne
« Sganarelle, dans le Cocu imaginaire; n'est point vëritablemcnt ja- loux ; il n'est pas amoureux de sa femme. 3 École des BCam , École des Femmes.
ga RÉFLEXIONS
plaignit point le tuteur d'Isabelle d'être entièrement trompé dans son espoir,, et de^se voir joaë et dupé par l'adresse d'une jeune personne. Le sort d'Arnolphe éprouvant l'ingratitude d'une orpheline qu'il a recueillie n'inspira pas plus d'intérêt : on s'aifi^usa de leurs précautions inutiles, des pièges qui leur étoieut tendus,, et du peu de -succès de leur prëvoyance. Le Misanthrope , amoureux et jaloux , quoique plus noble , ne produisit pas un autre effet : on estima sa franchise et sa lojautë , mais on se moqua de sa passion pour Gelimène ; et sa jalousie, exprimée avec la même force que celle de don Garcie, fit une sensation très-difïerenle,. parce que la situa- tion d'Alceste est constamment comique.
Cependant le Prince jaloux , tout défectueux qu'il est pour la conception, annonce un grand maître. Ce carâetère, par- faitement soutenu , présente les intervalles d'emportement et de douceur qui lui sont naturels : Tantôt aux genoux de sa maîtresse, tantôt l'accablant des injures les plus yiolentes, don Garcie ne connoît aucune mesure entre une confiance sans bornes et une méfiance outrageante. Son rôle est plein de chaleur et d'énergie : on voit qi|e l'auteur avoit éprouvé cette terrible passipn dont il faisoit la peinture. A côté de ce personnage il a eu l'art de placer un vil flatteur qui nourrit la passion de son maître par de faux rapports : ce rôle de don Lope olFre un tableau très-curieux dû manège de la. cour à cette époque : il est malheureux qu'il ne soit pas plus déve- loppé.
La jalousie de don Garcie est fondée sur trois motifs assez raisonnables, et qui par cela même produisent moins d'effet. Don Lope lui apporte un billet déchiré dont il interprète le sens contre Elvire ; et ce n'est que lorsque celle -«ci lui prouve sa fidélité par lautrc partie du billet qu'il cosse de la soup*
SUR DON GARCÏE DE NAVARRE. 93
çonrier. L'idée de ceftt€ méprise a'éCé employée d'une manière très-heureuse par M. de Voltaire dans le conte de Zadig. Le second motif de jalousie paroît trop commun : c'est tout sim- plement l'arrivée d'un prince- qui n'est pas attendu. Le troi- sième est plBS piquant , et fournit une situation cb'amatique. Une femme déguisée en homme va chez Elvire : la porte est ouverte; et don Garcie les voit s'embrasser tendrement. Il entre en fureur : un de ses confidents lui dit en vain qu'il ne faut pas s'en rapporter aux apparences, il s'ëcrie qu'il a tout vu par ses yeux , et son emportement augmente par la con- tradiction. Si cette situation, au lieu d'être sérieuse, eût été prise du côté comique , il y a lieu de présumer qu'elle auroit relevé la pièce, dont le dénouement est froid et languissant.
Molière transporta, dans la scène du Misanthrope où ce personnage fait éclater sa jalousie, plusieurs morceaux de deux scènes de don Garcie. On distingue principalement le commencement de cette tirade :
Oai, ooi, je Tai perdu lorsque dans vôtre vue, etc. l'emportement d'Alceste :
C'est une trahison, c*est une perfidie, etc.
Et ce retour si naturel :
Ah ! ^ue Y011S savez bien ici contre moi-même , Ingrate, vous servir de ma tendresse extrême !
Cette scène, dans le Misanthrope, est toujours fort ap- plaudie ; pourquoi ne produisit-elle pas le même effet dans le Prince jaloux? C'est que don Garcie est jaloux d'unç femme vertueuse dont il cause injustement le malheur, tandis qu'Al- ceste aime une coquette qui se moque de lui , qui d'un coup d'œil le désarme , et qui ne s^effraic pas de ses emportements-
94 RÉFLEXIONS SDR DON GARCIE DE NAV.
La scène du Prince JALonc tient au genre da drame; celle du Misanthrope est de l'excellente comëdie.
L'auteur transporta aussi dans Amphitryon quelques vers trèsp-heureux du Prince jalofitz. Don Garcie implore sa grâce d'Elyire , et lui dit qu'il mourra si elle ne la lui accorde. Elvire attendrie répond :
Qui ne saoroit baïr, ne peut Tonloir qu'on meure.
Alcmène fait la même réponse à Jupiter qui sollicite le par- don des torts qu'elle lui suppose.
L'emploi de tous ces vers dans d'autres pièces prouve que Molière* avoit entièrement renoncé à celle-ci ^ et que le juge» ment du public lui paroissoit juste. Elle ne fut imprimée qu'a- près sa mort» On a prétendu qu'il l'avoit imitée d'un auteur espagnol nommé Gicognini : il nous a été impossible de nous procurer l'ouvrage de cet auteur, dont il n'est fait mention dans aucune biographie.
rfft
L'ECOLE
DES MARIS,
COMÉDIE
EN TROIS ACTES ET EN VERS,
Représentée le la juin 1661 , dan« une fête que donna Fouqnet à la reine d'Angleterre ; et le 1 4 du même mois , sur le théâtre ^ Palais^lojaL
A MONSEIGNEUR
LE DUC D'ORLÉANS,
I
FRÈRE UNIQUE DU ROI.
M
ONSEIGNEUR
Je fais voir ici à la France des choses bien peu propor- tionnées : il n'est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à la tête de ce livre , et rien de plus bas que ce qu'il contient. Tout le monde trouvera cet assem- blage étrange; et quelques-uns pourront bien dire, pour en exprimer l'inégalité , que c'est poser une couronne de perles et de diamants sur une statue de terre , et faire entrer par des portiques magnifiques et des arcs triom- phaux superbes dans une méchante cabane. Mais, mon- seigneur, ce qui doit me servir d'excuse, c'est qu'en cette aventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur que j'ai d'être à votre altesse royale m'a imposé une nécessité absolue de lui dédier le premier
ÉPITRE DÊDICATOIRE. 97
ouvrage que je mets de moi-même au jour. Ce n'est pas un présent que je lui fais, c^est un devoir dont je m'acquitte; et les hommages ne sont jamais regardés par les choses qu'ils portent. J'ai donc osé, monseigneur^ dédier une bagatelle à votre altesse royale, parce que je n'ai pu m'en dispenser; et si je me dispense ici de m^étendre sur les belles et glorieuses vérités quou pourroit dire d'elle, c est par la juste appréhension que ces gtasdes idées ne fissent éclater encore davantage la- bassesse de mon of- frande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si belles choses ; et tout ce que j'ai prétendu dans cette épitre, c'est de justifier mon action à toute la France , et d'avoir cette gloire de vous dire à vous- même, MONSEIGNEUR, avcc toutc la soumissiou possible, que je suis, . , i
DE VOTRE ALTESSE ROYALE
et très-humble , très-obéissant et très-fîdèle serviteur^
MOLIÈRE.
MoiikBE. a.
' ^* ^ ' ^ ' - ' ' ■ ■ '-'
PERSONNAGES.
SGANARELLE, frère d'Ariste. ARISTE, frère de Sganarelle. ISABELLE, sœur de Lëonor. LËONOR, sœur d'Isabelle. VALËKE, amant d'Isabelle. LISETTE, suivante de Lëonor. ERGASTE, valet de Valère. UN COMMISSAIRE. UN NOTAIRE. DEUX LAQUAIS.
La scène est à Paris , dans une place pubUqae»
7?
L'ECOLE DKSMAHIS.
V»
L'ECOLE
DES MARIS.
ACTE PREMIER.
SCÈNE I.
SGA^ARELLE, ARJSTE.
' ■ ' ' ' • .
. ^OA«A|LELLE.
jylon frère ^ s'il Vews plaît , ^e ^î^coqroii» point t^nt ; Et que chacun de nous vîye comme il Fenteud. Bien que sur pioi deç ^^s vous ^yez l'avantage , Et so^e? assôTi vieM! pour devoir 4tre sage, . Je vous dirai pourtant ^e mes intentions Sont de ne prendre poiut dé vos QOfreqtioùi^ y Que j'ai pe^ur .tout con^^il ma Ëintaisiç i ^iLiyt^^ Et me trouve fort bien de ma façou ^e 'y\KT^\
ARISTE,
Mais^h^Ufl 1a çfiUdftmne.
. ;jaA3ïfAREI'X|i.
Qui , des foi^ comn^ voç^ . .Môpfrirç.*
ARISTE.
Grand merci ; le compliment est douxl .
100 UÉCOLE DES MARIS.
SGANARELLE.
Je voudroîs bîen savoîr, puisqu'il faut tout entendre, Ce (jue ces beaux censeurs en moi peuvent reprendre.
ARISTE.
Cette farouche humeur dont la sévérité
Fuit toutes les douceiu*s de la société,
A tous vos procédés inspire un air bizarre ^
Et jusques à Thabit, rend tout chez vous barbare.
SGANARELLE.
Il est vrai qu'à la mode il faut m assujettir,
Et ce n'est pas pour moi que je me dois vêtir.
Ne voudrieZ'Vous point par vos belles sornettes,
Monsieur mon frère aîné, car. Dieu merci, vous Fâtes
D'une vingtaine d'ans, à ne vous rien celer.
Et cela ne vaut pas la peine d en parler;
Ne voudriez-vous point, dis- je, sur ces matières.
De vos jeunes muguets * m'inspirer les manières;
Mobliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux,
Et de ces blonds cheveux dé qui la \fa&te enflure
Des visages humains ofiusque la figure;
De ces petits pourpoints sous les bras se perdants.
Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendants;,
De ces manches qua table on voit tâter les sauces.
Et de ces cotillons appelés hauts-de-chausses;
I Muguet, galant. Ménage prétend que ce mot yient de rnuKo* tum. aromate.
. ACTE I, SCÈNE I. loi
De ces souliers migopus de rubans reyétus,
Qai vous font ressembler à des pigeons patus;
Et de ces grands canons ' où , comme en des entraves ,
On met tous les matins ses deux jambes esclaves ,
Et par qui nous voyons ces messieurs les galants
Marcher écanjuillës ^ ainsi çjue des volants?
Je vous plairois sans doute équipé de la sorte ,
Et je vous vois porter les sottises quW porte.
ARISTE.
Toujours au plus grand nombre on doit s'accommoder,
Et jamais il ne &ut se faire regarder.
LW et l'autre excès choque; et tout homme bien sage
Doit fsiire des habits ainsi que du langage,
N'y rien trop affecter, et, sans empressement.
Suivre ce que Fusage y fait de changement.
Mon sentiment n'est pas qu'en prenne la métliode
De ceux qu'on voit toujours enchérir sur la mode.
Et qui, dans ces excès dont ils sont amoureux.
Servent fâchés qu'un autre eût été plus loin qu'eux :
Maïs je tiens qu'il est mal, sur quoi que l'on se fonde,
De fuir obstinément ce que suit tout le monde.
Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous
Que du sage parti se voir seul contre tous.
r
« Canon, bande d étoffe que l'on portoit au-'dessus du genou. ( Voy. tome I , la note des Précieuses ridicules , page SSy. )
» EcarcjuiUer, ou escarqaliier les jambes, les ouvrir, les écarte^ autant que l'on veut.
loa L'ÉCOLE DES MARIS.
Gda sent soA Vieillard qui ^ pom* eh faire acccolm. Cache ses cheveux blancs d'une ^emvjoe noire.
ARISTfi«
C^est un étrange &it du soin que vous prenez  me venir toujours jeter mon âge au nez y Et qu'il faille qu'en moi sans oesse je vous voie Blâmer l'ajustement aussi-bieu que la joie : Comme si, condamnée à ne plu» rien chérir, La vieillesse devoit ne songer qu^à mourir | Et d'assez de laideur n'est pas accompagnée ^ Sans se tenif encor inal ropre et rechignéc. '
Quoi qu il en soit, je suis attaché fortement
A ne démordre point de mon habillement.
Je veux une coiÔure^ en dépit de la mode,
Sous qui toute Ina tête ait un abri commode ;
Un bon pourpoint bien long, et fermé comme il faut,
Qui , pour bien digéter , tienne l'estomac chaud ;
Un haùt-de-chausse fait justement pour ma cuisse ;
Des souliers bu mes pieds ne soient point au supplice,
Ainsi qu eii ont usé sagement nos aïeux :
Et qui me trouve mal n'a qu'à fermer les yeux.
. _- -- - , I I - .
» Rechigné, vient de réchin, vieux mot françois qui signidoit chagrin X morose, de mauvaise humeur.
ACTE I. SCÈNE U io3
SCÈNE IL
lÉONOR, ISABELLE, LISETTE-, ARISTE, jlt SGANARELLiE, paaiiAhx b49 ^i^ssm^ipe sur le
DEVANT DU THEATEE, SANS ÊTRE APERÇUS.
LÉONOR, à Isabelle.
Je me charge de tout en cas que Ton vous gronde.
LISETTE, k Isabelle.
Toujours dans une chambre à ne point voir le n^ondel
ISABELLE.
Il est ainsi bâti.
LioNOR.
Je voos en plains, ma sœur.
LISETTE, à Léonor.
Bien vous prend que son firère ait tout une autre humeur,
Madame ; et le destin tous fut bien favorable
En vous Élisant tomber ai» mains du raisonnable.
ISABELLE.
C^est un miracle encor qu^il ne m^ait aujourd'hui Enfermée à la clef, ou menée avec lui.
LISETTE.
Ma foi , je l'enverrois au diable avec sa frabe , Et...
SGANARELLE, hearté par Lisette.
Où donc allez-y 0118) qu^il ne vous en déplaise?
LiONOR.
Nous ne savons encore, et je pressoia ma sœur
lol UÊCOLE DES MARFS.
De venir du beau temps respirer la douceur : Mais. . .
SGANARELLEy à Léonor.
Pour VOUS , VOUS pouvez aller où. bon vous semble ;
( montrant Lisette. )
Vous n'avez qu'à courir, vous voUà deux ensemble.
( à Isabelle. )
Mais VOUS 9 je vous défends , s'il vous plait, de sortir.
▲ RISTE.
Âhl laissez-les 9 mon frère, aller se divertir.
SGANARELLE.
Je suis votre valet, mon frère.
ARISTE.
La jeunesse Veut, • 4
SGANARBLLE.
La jeunesse est sotte, et parfois la vieillesse*
ARISTE.
Croyez-vous qu'elle est.mal d'être avec Léonor?
SGANARELLE.
Non pas; mais avec moi je la crois mieux encor.
ARISTE.
Mais. . .
SGANARELLE.
Mais ses actions de moi doivent dépendre. Et je sais l'intérêt enfin que fy dois prendre.
ARISTE.
A celles de sa sœur ai^je un moindre intérêt?
ACTE I, SCÈNE II. io5
86ANA⣣I.E.
Mon Dieu! chacun raisonne et &it comme il lui plait. Elles sont sans parents , et notre amî> leur père Nous commit leur conduite à son heure dernière ; Et 9 nous chai^eant tous deux, ou de les épousèry Ou, sur notre refus, un jour d'en disposer, Sur elles , par contrat , nous sut , dès leur en&nce , Et de père et d'époux donner pleine puissance. D'élever celle-là vous prhes lé souci , Et moi je me chargeai du soin de celle-ci : Selon vos veloutés vous gouvernez la vôtre : Laissez-moi, je vous prie, à mon gré régir Vautre.
ARIST.E.
D me semble. . .
SGANARELLE.
n me semble, et je le dis tout haut. Que sur un tel sujet c'est parler comme il faut. Vous sou£Grez que la vôtre aille leste et pibapanle , Je le veux bien; qu'elle ait et laquais et suivante. J'y consens ; qu elle coure , aime l'oisiveté , Et soit des damoiseaux flairée en liberté. J'en suis fort satisfait : mais j entends que la mienne Vive à ma fantaisie, et non pas à la sienne ; Que d'une serge honnête elle ait son vêtement. Et ne porte le noir qu'aux bons jours seulement; Qu'enfermée au logis, en personne bien sage , Elle s'applique toute aux choses du ménage, A recoudre mon linge aux heures de loisir ,
io6 L'ÉCOLE DES MAHI&
Ou bien à tricoter qudcpes bas par plabir ;
Quaux discours des muguets elle ferme roréille,
Et ne sorte jamais sans avoir cpd la yeiUe.
Enfin la chair est foible, et j entends tous les bruits.
Je ne veux point porter de'comes y si je puis;
Et, comme à m'épouser sar fortuite l'appelle^
Je prétends, corps pour corps 9 pouvoir répondre d'oU^*
Vous n'avez pas sujet , que je crois. . «
SOASARJSLIiS.
Xaises^TOus. ^ Je vous apprendrai bien s'il &ut^sbrtîr sans nous.
LÉONOR»
Quoi donc, monsieur. . .
S<^ANAR£I.l.jE,
Mon Dieul madame, sans langage: Je ne vous parle pas , car vous êtes trop sa§&.
IiéONOR.
Voyez-vous Isabelle avec nous à regret?
Oui ; vous me la gâtez , puisqu'il faut parler net.
Vos visites ici ne font que me déplaire ;
Et vous m'obligerez de ne nous en plus faire.
tiipvoR. Voulez-vous que mon ceeur vous parle net aussi? J'ignore de quel œil elle voit tout ceci ; Mais je sais ce qu'en moi feroit la défiance : Et , quoiqu'un même sang nous ait donné naissance ,
ACTE I, SCÈNE IL 107
Noos sommes bien peu sœur», s'il &tit que chaque joor Vos manières d'agir lui doaneat de ramour.
LI8BTTB. En effet, tous ces soins sont des. choses infâmes : Sommes-nous chee les Turcs , pour ren£snner les femmes? Car on dit qu'on les tient esclaves en ce lieu , Et que c est pour vdà qu'ils sont maudits de Dieu. Notre honneur .est ^ monsieur, bien sujet i foiblesse , S'il &ut qu^il ait besoin qu'on le garde sans cesse. Peosez-Tous , après tout , que ces précautions Servent de quelque obstacle à nos intentions? Et, quand nous notts mettons quelque chose à la' tête , Que rhomme le plus fin ne soit pas une bête? Toutes ces gardes-là sont visions de fous; Le plus sûr est , ma foi , de se fier en nous : Qui nous gène se met en un péril extrême , Et toujours notre honneur veut se garder lui-même. Cest nous inspirer presque un désir de pécher, Que montrer lant de soins de nous en empêcher. Et, si par un mari je me veyob contrainte, J'aurois fort grande pente à confirmer sa crainte.
SGAI^ARELLE, à Ariste.
Voilà, beau précepteur, votre éducation. Et vous souffirea cela sans nulle émotion ?
ARISTE.
Mon frèrcf , so^i discours ne doit que faire rire ;. Elle a quelque raison en ce qu'elle veut dire. Leur sexe aime i jouir d'un peu de liberté :
io8 L'ÉCOLE DES MARIS.
On le retient fort mal par tant d^austërité ;
Et les soins défiants, les verrous et les grilles,
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles :
C'est rhonneur qui les doit tenir dans le devoir.
Non la sévérité que nous leur faisons voir.
C'est une étrange chose, à vous parler sans feinte,
Qu'une femme qui n est sage que par contrainte.
En vain sur tous ses pas nous prétendons régner,
Je trouve que le coem* est ce qu'il. &ût gagner;
Et je ne tiendrois, moi, quelque soin qu'on se donne,
Mon honneur guèresâi* aux mains d'une personne
A qui , dans les désirs qui pouiroient Tassaillir,
Il ne manqueront rien qu'un moyen de Êdllir.
SG^ANARELLS.
Chansons que tout cela.
ARISTE.
Soit; mais je tiens sans cesse Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse, Reprendre ses défauts avec grande douceur, Et du nom de vertu ne point lui faire peur. Mes soins pour Léonor ont suivi ces maximes^ Des moindres libertés je n'ai point Êiit des crimes ; A ses jeunes désirs j'ai toujours consenti, Et je ne m'en suis point, grâce au ciel, repenti. J'ai souffert qu'elle ait vu les belles compagnies , Les divertissements , les bals , les comédies : Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout temps Fort propres à former l'esprit des jeunes gens;
ACTE I, SCÈNE IL 109
Et l'école du monde en l'air dont il Êiut vivre
Instruit mieux, à mon gré, que ne fiiit aucun livre.
Elle aime à dépenser en habits , linge et nœuds : *
Que voulez-vous? je tâche à contenter ses vœux ;
Et ce sont desplaisirs qu'on peut dans nos familles ,
Lorsque Ion a du bien , perm^tre aux jeunes filles.
Un ordre paternel Toblige à m/épouser ;
Mais mon dessein n'est pas de la tyranniser.
Je sais bien que nos ans ne se rapportent guère,
Et je laisse à son choix liberté tont entière.
Si quatre mille écus de rente bien venants ,
Une grande tendresse et des soins complaisants,
Peuvent, à son avis, pour un tel mariage.
Réparer entre nous l'inégalité d'âge,
Elle peut m'épouser; sinon, choisir ailleurs.
Je consens que sans moi ses destins soient meilleurs ;
Et j'aime mieux la voir sous un autre hyménée ,
Que si contre son gré sa main m'étoit donnée.
SGANARELLE.
Hé! qu'il est doucereux ! c'est tout sucre et tout miel 1
ARLSTE..
Enfin c'est mon humeur, et j'en rends grâce qu ciel.
Je ne suivrois jamais ces maximes sévères
Qui font que les enfants comptent les jours des pères. .
' Les femmes, les hommes mêmes portaient alors beaucoup ^ rubans. .>■...■
110 L'ÉCOLE DES MARIS.
8GANARELLB.
Mais ce qa en la jeimesse on prend de liberté Ne se retKUûdbie pas avec facilité ; Et tous ces sentiments soi^^ront mal votre es^yie. Quand il faudta changer sa manière de vie.
Et pourquoi la changer!
8GANARSLX.B.
Pouaquoi ?
ARISTJE.
Oui.
Jenefsaî#
ARISTE.
Y voit-on quejque chose où Thomieur seÂt blessé?
saANAREi;iï.^. Quoi! si vous l'épousez, elle pourra préteindre Les mêmes libertés qiie fille on lui voit pipepdre?
ARISXE^
Pourquoi non.?
SGANARELLE.
Vos désirs lui seront complaisants Jusques à lui laisser et mouches et rubans?
ARISTE.
Sans doute.
SGANARELLE.
A lui souffrir, en cervelle troublée,
' ' ' . *•'•.. ' < •• '
De courir tous les bals et les lieux d'assemblée ?
f . • . >
ACTE I, SCÊJtË II. fti
ARXSTB.
Oui yraiment.
SGÀKARËXLE.
Et chez VOUS ir<>iit les damoiseaux?
àRISTE.
Et quoi doue?
Qoi joÛTom^ donneront des cadeauic?
ARISTE*
Faccord.
S^ANARfiLLE.
Et votre femUié entétiâra les fleurettes?
ARISTE. '
Fort bien, ^
SGANARELLE.
Et voué verrez ces visites muguettçs > ■' ( D'un œil à témoigner de n'en être point soûl?
ABISTE.
Cela s'entende
SGANARELLE. ■
Allez y vous êtes un vieux fi>u.
fà IsabeUe. )
Rentrez pour n^onïr point cette praticpiè in£imet )
" , • • • • •
> Visites muguettes, yitites glda»iCeft. .
> ' < ■ ' I
11^ L'ÉCOLE DES MARIS.
SCÈNE IIL
ARISTE, SGANARELLE, LÉONOR, LISETTE.
ARISTE.
Je yeux m abandonner à la foi .de ma femme , Et prétends toujours vivre ainsi que j'ai vécu.
SGANARELLE.
Que j'aurai de plaisir quand il sera cocu !
ARISTE.
J'ignore pour quel sort mon astre m'a &it naître : Mais je sais que, pour vous, si vous manquez de Fêtre, On ne vous en doit point imputer le dé&ut; Car vos soins pour cela font bien tout ce qu'il Ëtut.
SGANARELLE.
Riez donc, beau rieur. Oh! que cela doit plaire De voir un goguenard presque sexagénaire!
LÉONOR.
Du sort dont vous parlez je le garantis, moi, S'il faut que par l'hymen il reçoive ma loi ; n s'en peut assurer : mais sachez que mon âme Nerépondroit de rien^ si j etois votre femme.
LISETTE.
C'est conscience à ceux qui s-assurent ennous; Mais c'est pain bénit, certe^ â des gens comme vous.
SGANARELLBt,
Allez , langue maudite et des plus mal apprises.
ARISTE.
Vous vous êtes , mon frère , attiré ces sottises-
ACTE I, SCÈNE III. (ii3
Adieu. Changez d'humeur, et soyez ayerti Que renfermer sa femme est un mauvais parti* Je suis votre valet.
SGA.NARELLE.
Je ne suis pas le vôtre.
SCÈNE IV.
SGANARELLE.
0 H ! que les voilà Bien tous formés Fun pour lautre I
Quelle belle &mille! un vieillard insensé
Qui fait le dameret dans un corps tout cassé I
Une fille maîtresse et coquette suprême I
Des valets impudents! Non , la sagesse même
N'en viendroit pas à bout, perdroit sens et raison
A vouloir corriger une telle maison.
Isabelle pourroit perdre dans ses hantises '
Les semences d'honneur qu'avec nous elle a prises;
Et, pour l'en empêcher, dans peu nous prétendons
Lui £ûre aller revoir nos choux et nos dindons.
SCÈNE V.
VALÈRE, SGANARELLE, ERGASTE.
VA LE RE*, dans le fond dn théâtre.
Ergàste, le voilà cet Argus que j'abhorre, Le sévère tuteur de celle que j'adore.
* Dans ses hantises, en la fréquentant. MoLxànE. 3. 8
ai4 L'ÉCOLE PES MARIS.
S<&ANAkELtË, se-crojantlsenl.
N'est-ce pas ^elqae chose èûfin de surpreftafil Que la corruption des mœurs de maintendAt?
VAtÈRE.
Je Youdrois l'accoster, is'il est en ma puissance, Et tâcher de lier avec lui connoissance.
SGANARELLB, se croyant seul.
AU lieu de voir régner cette sévérité Qui composoit si bien Tancienne honaâteté^ La jeunesse en ces Heux, libertine^ absolue^ Ne prend...
CYalère salue Sganarelle de loin. ) VALÈRÊ,
Il ne voit pas que c'est lui qu'on salue.
ERGASTE.
Son mauvais œil peut-être est de ce côté-ci. Passons du côté droit.
SGANARELLE, se croyant seul.
Il faut sortir d'ici. Le séjour de la ville en moi ne peut produire Que des. . .
VA LE RE, en s'approchant peu à pcu'.
Il faut chez lui tâcher de mlntroduire.
SGANAREX/LE, entendanf c[nel<pie bruit.
Hé !.. . j'ai cru ^'on parloit.
( se croyant seul. )
Aux chan^ , grâcesaux cieux , Les sottises du temps ne blessent point mes yeux.
ACTE I, SCÈNE V. n5
£RGAST£, àYalèce. Âbordez4e.
SGANARELXiEy .enteoidant encore du bruit.
Plaît-a?
(n'enteoid&iit plus rien. ) ( se crojaut stv^,. )
Là, tous les passe-temps de nos filles se bornent. . .
( Il aperçoit Y alère qui le salue, )
Est-ce â nous?
Approchez.
SGANARELliD, sans prendre garde à Y alère.
Là, nul godelureau '
( Yalère le salue encore. )
Ne yient. . .Que didUe. . «?
(Il se retourne , et voit Erg^sjte qi^i le salue de l'autre côté. J
Encor ! que de coups de chapeau 1
VALÈRE.
Monsieur, un tel abord-yous interrompt peut-être?
SGANARELLE.
Cela se peut.
VAX è RE.
Mais quoi! l'honneur de vous connoître
' Godelureau, suivant Ménage, vient de gaudere, se réjouir. On l'emploie dans le stjle familier, pour exprimer un homme qui fait l'agréable auprès des feiusnes.
ii6 L'ÉCOLE DES MARIS.
ATest un si grand bonheur, m'est un si doux plaisir, Que de vous saluer j'avois un grand désir.
SGANARELLE.
Soit.
VALÈRJE.
Et de TOUS venir, mais sans nul artifice, Assurer que je suis tout à votre service.
S6ANARELLE.
Je le croîs.
VALÂRE.
J'ai le bien d'être de vos voisins, Et fen dois rendre grâce à mes heureux destins.
SGANARELLE.
C'est bien &it.
VA LE RE.
Mais, monsieur, savez-vous les nouvelles Que l'on dit à la cour, et qu'on tient pour fidèles?
SGANARELLE.
Que in'importe?
VALÈRE.
Il est vrai ; mais pour les nouveautés On peut avoir parfois des curiosités. Vous irez voir, monsieur, cette magnificence Que de notre dauphin prépare la naissance?
SGANARELLE.
Si je veux.
VALERE.
Avouons que Paris nous £ait part
ACTE I, SCÈNE V. 117
De cent plaisirs charmants qu^on n a point autre part. Les provinces, auprès, sont des lieux solitaires. A quoi donc pass6z-Yous le temps?
SGANARELLE.
A mes affaires.
VALÈRE.
L'esprit veut du relâche , et succombe parfois Par trop d'attachement aux sérieux emplois. Que faites-vous les soirs avant quW se retire?
SGANARELLE.
Ce qui me plait.
VALERE.
Sans doute ; on ne peut pas mieux dire ; Celte réponse est juste, et le bon sens paroit  ne vouloir jamais &ire que ce qui plait. Si je ne vous croyob l'âme trop occupée, rirois parfois chez vous passer Taprès-çoupée.
Serviteur.
SCÈNE VL
VALÈRE, ERGASTE.
VALÈRE.
Que dis-tu de ce bizarre fou ?
E&OASTE.
B a le repart brusque, et l'accueil loup-garou^
VALÈRE.
Ah! j'enrage!
XI» LÉCOLE DES MAHlS.
BA6ASTE.
Etdecfnoî?
talIré. De qaoi? Cest que j'enrage De voir celle que j'aime au pouvoir d'un sauvage, D'un dragon surveillant,.dont U sévérité Ne lui laisse )otut d aiicune tib^té.
&A6A6TÈ.
Cest ce qui fait pôui" VOHsj et stnr efeiJ conséqilénciés 'Votre amour doit fondel* de grandes espérances. Apprenez , pour avoir votre esprit affermi , .Qu'une femme qu'on garde est gagnée à demi, Et que les noirs chagrins des maris ou des pères Ont toujours du galaÉit avancé lèi^ affairée. Je coquette fort peu > c'est tnon èofôindre fâknt j Et de profession je ne sui^ pt^int galant i ' Mais j en ai servi vingt de ces chiçrehéurd éë proie, Qui disoient fort souvent que leur plus grande joie Ëtoit de rencontrer de ces maris fâcheux Qui jamais sans gronder ne revieni^ent chez eux, De ces brutaux Qeffés qui, sans raison ni suite. De leurs femmes en tout contrôlent la conduite, Et, du nom de maris ûèréï&éM èê parants, Leur rompnt en vitiièr^ aux yeux des souptmnts. On en sait , disent-ils , prend^fe ms avantages ; Et Faigreur d^ la dame^ k c^'s èetVds dotittâges Dont la plaint doucement te céài^laisant témoin , Est un champ à pousser les choses assez loin.
ACTE I, SCÈNE Yl. iig
En an mot^ ce vous est une att^i^te assez belle Que la sévérité du Datais d'Isabelle.
Mais depuis quatre mois que je raime ardeinment; Je n'ai pour lui parler pu trouver un moment.
ERGASTE.
L'amour rend inventif; mais vous ne Têtes guère : Et si î'avois été. . .
VALÈRE.
Mais qu^aurois-tu pu faire ^ Puisque sans ce brutal on ne la voit jamais j Et qu'il n'est li-dedans servantes ni valets Dont, par jappât flatteur de quelque récompense , Je puisse pour mes feux ménager l'assistance?
ERGASTE.
ËUe ne sait donc pas encor que vous Faimez?
VALÈRE.
Cest uu point dont mes vœux ne sont pas informés. Partout où ce farouche a conduit cette belle. Elle m'a toujours vu comme une ombre après elle;
■
Et mes regards aux siens ont tâché chaque jour Qe pouvoir expliquer l'excès de mon amour. Mes yeux ont fort parlé : mais qui me peut apprendre Si leur langage enfin a pu se faire entendre?
ERGASTE.
Ce langage , il est vrai , peut être obscur parfois y^ S'il n'a pour truchement l'écriture ou la voix..
120 L'ÉCOLE DES MARIS.
VALÈRE.
Que faire pour sortir de cette peine extrême, Et savoir si la belle 4 connu que je l'aime? Dis-m'en quelcpie moyen.
jBRGASTE*
C'est ce qu^îl faut trouver. Entrons un peu chez vous, afin dy mieux râver.
FIN pu PREMIER ACT£«
L'ÉCOLE DES MARIS. lai
^^^#i^^l^^»^^>t^ ^^^«^»^^»«»«i^i^^^»i^«^i^'^«i^'»««^«i
ACTE SECOND.
SCÈNE L
ISABELLE, SGANARELLE.
SGANARELLE.
Va, je sais la maisoB , et connois la personne Aux marcpies seulement que ta bouche me donne.
ISABELLE, à part.
0 ciel, sois->moi propice, et seconde en ce jour Le stratagème adroit d un innocent amour!
SGANARELLE.
Dis-tu pas qu'on t'a dit qu'il s'appelle Valère?
ISABELLE.
Oui.
SGANARELLE.
Va, sois en.repos, rentre, et me laisse faire; Je vais parler sur Theure à ce jeune étourdi.
ISABELLE, en s*ën allant.
Je fais, pour une fille, un projet bien hardi : Mais l'injuste r^eur dont envers moi Ton use Dans tout esprit bien fait me servira d'excuse.
laa L'ÉCOLE DES MARIS.
SCÈNE IL SGANARELLE.
(Il frappe à sa porte , crojant ^ue c*e8t celle de Yalére. )
Ne perdons point de temps : c'est ici. Qui va là? Bon! je rêve. Holà, dis-je, holà quelqu'un, holà. Je ne m'étonne pas, après cette lumière, S'il y yenoit tantôt d\B si douce manière. Mais je yeux me hâter, et de son fol espoir. . .
SCÈNE III.
VALÊRE, SGANARELLE, ERG ASIE.
SGANARELLE, à Ergaste qui est sorti brasqûement.
Peste soit du gros bœuf, qui, pour me faire choir. Se yient deyant mes pas planter comme une perche!
VALÈRE.
Monsiaur, j ai du regret. . .
SGANARELLE.
Ah! c'est vous que je cherche.
VALÉRE.
Moi, monsieur?
SGANARELLE.
Vous. Valère est-il pas yotre nom?
yALÈRE. '
Oui.
SGANAREI.LE.
Je viens vous parler, si vous le trouvez ton.
ACTE II, SCÈNE IIL laS
Puis-Je être assez heureux pour vaas rendre service?
SGA.NAR£I.I.B«
Non. Mais je ^élelids^ mm^ vous rendre un bon office; Et c'est ce qui chez vous prend droit de m'amener.
yALÈR£«
Chez moi, monsieur?.
SOANAlLELLE.
Chez vous» Faut-il tant s étonner?
VALiSKX.
J^en ai bien du sujet; et mon âme ravie De l'honneur. . .
Laissons là cet honneur, je vous prie.
VALÈRE.
Voulez-vous pas entrer?
SGANARSLLE.
Il n en est pas besoin. Monsieur, de grâce!
SGAKTARELLE.
Non , je n'irai pas plus loin. ,
. VALÉRE.
Tant que vous setet là, je ne puis vous entendre.
SOA17AREI.LE.
Moi, ]en^4n veuis bou^r.
VALÈRE*
Hé bien! il faut se rendre.
ia4 L'ÉCOLE DES MARIS.
Vite, puisque monsieur à cela se résout, Donnez un siège ici.
SGANARELLE.
Je veux parler debout.
VA LE RE.
Vous souifrir de la sorte?
SGANARELLE.
Âhl contrainte ejBBx)yableI
'^ VALÈRB.
Cette incivilité seroit trop condamnable.
SGANARELLE.
C'en est une que rien ne sauroit égaler,
De n^ouïr pas les gens qui veulent nous parler.
VALÈRE.
Je vous obéis donc.
SGANARELLE.
Vous ne sauriez mieux faire.
( Ils font de gi'andes cérémonies pour se couvrir. )
Tant de cérémonie est fort peu nécessaire. Voulez-vous m'écouter?
VALÈRE.
Sans doute, et de grand cœur.
SGANARELLE.
Savez-vous , dites-moi , que je suis le tuteur D*une fille assez jeune et passablement belle Qui loge en ce quartier, et qu'on nomme Isabelle?
* . VALÈRE.
Oui,
\
ACTE II, SCÈNE III. laS
SGANARELI.E.
Si yoas le savez , je ne vous lapprends pas. Mais savez-yous aussi , lui troayant des appas, Qu'autrement qu'en tuteur sa personne me touche, Et qu'elle est destinée à l'honneur de ma couche ?
VALÈRE.
Non.
SGAITARELLE.
Je vous rapprends donc, et qu'il est à propos Que vos feux, s'il vous plaît, la laissent en repos.
VALÈRE.
Qui ? moi , monsieur ?
SGANARELLE.
Oui , VOUS. Mettons bas toute feinte.
VALÈRE.
Qui vous a dit que j'ai pour elle Fâme atteinte?
SGANARELLE.
Des gens à qui l'on peut donner quelque crédit.
VALÈRE.
Mais encore?
SGArrARELLE.
' Elle-même.
VALÈREo
Elle ?
SGANARELLE.
Elle. Est-ce assez dit?, Comme une fille honnête, et qui m^aime d'enfance. Elle vient de m'en faire entière conjBdence, ^
ia6 L'ÉCOLE DES MARIS.
Et, de pins 9 m^a chai^^ Tans 4ioBner avis Que, depuis fpae par voos tons ses pas 6ont «uvis, Son cœur y qu'avec «xoès votre poursuite 4Nilra^ , N'a que trop de vos yeux entendu le langa^ ; Que vos secrets désirs lui sont assez ooiuuis, Et que c est tous donner des soucis superflus De vouloir davantage expliquer une flamme Qui choque l'amitié que rae garde son âme.
VALÈRE.
C est elle y dHes^oos, qui de sa part vous &iL . «
SGANARSLLE.
Oui y vous venir donner cet avis franc>et aet;
Et qu'ayant vu Tardeur dont votre âme est blessée ;
Elle vous eût ]^ufi tôt fait savoir sa pensée ,
Si son cœur avoit eu, dans son émotion,
A qui pouvoH* donner cette commission ;
Mais qu'enfin la douleur dbnecontrainte extrême
L^a réduite à vouloir ^e servir de moi-même
Pour vous rendre averti , comme je vous ai dit,
Qu'à tout autre que moi son cœur est interdit.
Que vous avez assez joué de la prunelle,
Et que , si vous avez tant soit peu de cervelle ,
Vous prendrez d'autres soins. Adieu, jusqu'au revoir;
Voilà ce que j'avois à vous faire savoir.
VALÈRfi, bas.
Ergaste, que dis-tu d'une telle aventure?
s G- AN A RE L'IrE ^ bas , a part.
Le voilà bien surpris!
ACTE II, SCÈNE III. 137
SROÂSTIB, bat, àTalère.
Selon na conjectoie^ Je tiens qu elle n'a rien de déplaisant pour vous, Qu'un mystère assez fin est caché là-dessous , Et qu'enfin cet ayis n'est pas d une personne Qui veuille voir cesser Famour <|u'elle vous donne.
SGANARELtE, à part.
II en tient comme il faut.
VA L Ë R E 9 bas , à Ergaste.
Tu crois mystérieux. . .
ERGASTE, bas.
Oui. . . Mais il nous ohserve , ôtons-nous de ses yeux.
SCÈNE IV.
SGANARELLE.
Que sax^onfusion paroit sur son visage!
II ne s'attendoit pas^, sans doute, à ce message.
Appelons Isabelle : elle montre le fruit
Que réducation dans une âme produit;
La vertu fait ses soins , et son cœnr s'y consomme
Jusques à s'offenser des seuls regards d'un homme.
SCÈNE V.
ISABELLE, SGANARELLE.
ISABELLE, bas, en entrant.
J'ai peur que mon amant, plein de sa passion, N ait pas de mon avis compris l'intention j
Ta8 L'ÉCOLE DES MARIS.
Et j'en yeux, dans les fers où je suis prisonnière ^ Hasarder un qui parle avec plus de lumière,
SGANARELLE,
Me voilà de retour.
ISABELLE.
;
Hé bien?
86ANARELLE.
Un plein effet A suivi tes discours, et ton homme a son fait. Il me vouloit nier que son cœur fut malade : MaiS; lorsque de ta part j'ai maïqué l'ambassade, n est resté d'abord et muet et confus; Et je ne pense pas qu'il y revienne plus.
ISABELLE.
Ah ! que me dites-vous? J'ai bien peur du contraire, Et qu'il ne nous prépare encor plus d'une affaire.
SGANARELLE.
Et sur quoi fondes-tu cette peur que tu dis?
ISABELLE.
Vous n'avez pas été plus tôt hors du logis , Qu'ayant, pour prendre l'air , la tête à ma fenêtre, J'ai vu dans ce détour un jeune homme paroître, .Qui d'abord, de la part de cet impertinent, Est venu me donner un bonjour surprenant, Et m'a, droit dan^ma chambre, une boîte jetée
ACTE II, SCÈNE V. 1A9
Qu! renferme une lettre en poulet * cachetée. Jai voulu safks tarder lui rejeter le tout ; Mais ses pas de la rue avoient gagné le bout ^ Et je m'en sens le Cœur tout gros de fâcherie.
Voyez un peu la cuse et la friponnerie I
l'SABELLE.
Il est de mon devoir de Êiire promptement Reporter boîte et lettre à ce maudit amant; Et j'aurois pour cela besoin d'une personne. • • Car d'oser à vous-même. . .
SGANARELIS.
Au contraire, mignonne, C'est me Êare mieux voir ton amour et ta foi ; Et mon cœur avec joie accepte cet emploi : Tu m'obliges par-là plus que je ne puis dire.
ISABELLE. ^
Tenez donc.
SGANARELLE.
Bon. Voyons ce qu'il a pu t'écrire.
ISABELLE.
Ah ciel! gardez-vous bien de l'ouvrir, . .
' On donne plusieurs étjmologies au mot poutet, pris dans ce sens. Saumaise le fait dériver du latin, t) autres pensent cpie l'on a donné ce nom aux billets doux, parce qu'ils étoient plies de manière à ce qu'il j ayoit deux pointes qui formoient comme des ailes de poulet.
MoLiii^aE. 2. 9
i3d L'ÊQOLÊ DES MARIS.
S6ANARBLtE.
Etpotinjùoi?
ISABSLtE.
Lui voulez-vous donuer à croire que c^est moi? Une filLe d'honneur doit toujours se défendre De lire les billets qu un homme lui &it rendre. La curiosité qu on fait lors éclater Marque un secret plaisir de s'en ouïr conter^ Et je trouve à propos qu9, toute cachetée, Cette lettre lui soit promptement reportée ^ Afin que d autant mieux ill conp.oisse aujourd'hui Le mépris éclatant que mon cœur lait de lui. Que ses feux désormais perdent toute espérance, Et n^entreprennent plus pareille extravagance.
SGANARELLE.
Certes, elle a raison lorsqu'elle parle ainsi. Va , ta vertu me charme, et ta prudence aussi ; Je vois que mes leçons ont germé dans ton âme ; Et tu te montres digne enfin d'être ma femme.
ISABELLE.
Je ne veux pas pourtant gêner votre désir.
La lettre est dans vos mains, et vous pouvez Touvrir.
S6ANARELLE.
Non, je n'ai garde; hélas! tes raisons sont trop bonnes ; Et je vais m'acquitter du soin que tu me donnes, A quatre pas de là dire ensuite deux mots. Et revenir ici te remettre en repos.
ACTE II, SCÈNE VI. i3i
SCÈNE VL
SGANARELLE.
Dans quel ravissement est-ce que mon cœur nage.
Lorsque je vois en elle une fille si sage I
C'est un trésor dlionneur qu^ j'ai dans ma maison.
Prendre un regard d^amour pour une trahison!
Recevoir un poulet comme une injure extrême,
Et le faire au galant reporter par moi-même !
Je voudrois bien savoir, en voyant tout ceci,
Si celle de mon frère en useroit ainsi.
Ma foi, les filles sont ce que Ton les fait être.
Holà.
(Il firappe à la porte de Val ère. )
SCÈNE VIL
SGANARELLE, ERGASTE.
ERGASTE.
Qu'est-ce? •
sgaiïarelle. Tenez , dites à votre maître Qu'il ne s'ingère pas d'oser écrire encor Des lettres qu'il envoie avec des boîtes d'or, . Et qulsabelle en est puissamment irritée. Voyez, on ne Ta pas au moins décachetée, n connoitra l'état que l'on fait de ses feux. Et quel heureux succès il doit espérer d'eux.
i3à L'ÉCOLE DES MARIS.
SCÈNE VIII.
VALÈRE, ERGASTE.
TAtÈRE.
Que vient de te donner cette farouche bête?
ERGASTE.
Cette lettre, monsieur, qu'avecque cette boîte On prétend quaît reçue Isabelle de vous, Et dont elle est, dit-il, en un fort grand courroux. C'est sans vouloir l'ouvrir qu'elle vous Fa fait rendre. Lisez vite, et voyons si je me puis méprendre.
VALÈRE lit.
<c Cette lettre vous surprendra sans doute; et Ton peut « trouver bien hardi pour moi , et le dessein de vous 1^- cc crire, et la manière de vous la faire tenir : mais je me a vois dans un état à ne plus garder de mesure. La juste ce horreur d un mariage dont je suis menacée dans six jours « me fait hasarder toutes choses; et, dans la résolution de « m'en affranchir par quelque voie que ce soit, j'ai cru « que je devois plutôt vous choisir que le désespoir. Ne « croyez pas pourtant que vous soyez redevable de tout à c( ma mauvaise destinée : ce n'est pas la contrainte où je « me trouve qui a fait naître les sentiments que j'ai pour « vous; mais c'est elle qui en précipite le témoignage, et (( qui me fait passer sur des formalités où la bienséance du « sexe oblige. Il ne tiendra qu'à vous que je sois à vous ce bientôt; et j'attends seulement que vous m^ayez marqué
ACTE II, SCÈNE VIII. |33
R les intentions de votre amour pour tous £ure savoir la « résolution que j ai prise : mais surtout songez tpie Je « temps presse, et que deux cœurs qui s'aiment doivent « s^entendre à demi-mot. »
ERGASTE.
Hé bien ! monsieur, le tour est-îï original? Pour une jeune fille , elle n'en sait pas mat. De ces ruses d amour la croiroit-on capable ?
VALÈRE.
Âh ! je la trouve là tout-â-fait adorable. Ce trait de son esprit et de son amitié Acaoit pour elle encor mon amour de moitié y Et joint aux sentiments que sa beauté m'inspire. . .
ERGASTE.
La dupe vient : songez à ce qu'il vous faut dire.
SCÈNE IX.
SGANARELLE, VALÉRE, ERGASTE.
SGAl^ARELLE, se croyant seul.
0 TROIS et quatre fois béni soit cet édit Par qui des vêtements le luxe est interdit! Les peines des maris ne seront plus si grandes, Et les femmes auront un frein à leurs demandes. Oh ! que je sais au roi bon gré de ces décris ! * Et que , pour le repos de ces mêmes maris , Je voudrois bien qu'on fit de la coquetterie
* On appeloit décri, la défense par cri public de faire une chos^.
i34 L'ÉCOLE DES »JARIS.
Comme de la guipure ' et de la broderiel J ai voulu lacbeter Fédit expressément Afin que d'Isabéllé il soit lu hautement; Et ce sera tantôt, n étant plus occupée, Le divertissement de notre après-soupée.
( apcrccy^mt Yalèw. )
Envoîrez-vous ^iK:of , monsieur aux blonds cheveux 9 Avec des boites d^or des billets amoureux? Vous pensiez bien trouver quelque jeune coquette , Friande de l'intrigue et tendre à la fleiuretle : Vous voyez de quel air on reçoit vos jejaux. Croyez-moi y c'est tirer votre poudre aux moineaux : Elle est.sage, elle m'aime^ et votre a»mir routrage. Prenez visée ailleurs, et troussez?<noi bagage.
VALÈKE.
Oui, oui, votre mérite, à qui chacun se rend, Est à mes vœux , monsieur, un obstacle trop grand ; Et c'est folié & moi, dans mon ardeur fidèle^ De prétendre avec vous à Tamour dlsabelle.
S^ANARELLE,
11 est vrai , c'est folie,
Ausçi u'aurois-je pas Abandonné mon coeur à suivre ses appas, . Si j'avois pu prévoir ^ue ce coeur misérable Dût trouver un rival comme vous redoutable. .
I Guipure, espèce de ^entelif.
ACTE II, SCÈNE IX. i35
SGANARELLE.
Je le crois.
Je n'ai garde à présent d espérer : Je vous cède, monsieur; et c'est sans murmurer.
SGANAKBLIiE.
Vous Élites bien.
Le drcit de la^sorte Fordonne; Et de tant de vertus brille yotre personne, Que j^auroistort de voir d'un regard de courroux Les tendres sentiments qulsabelle a pour vous.
SGÀNARELLE.
Cela s'entend.
VALÈEE.
Oui , oui ^ je vous quitte la place : Mais je vous prie au moins, et c'est la seule grâce, ^ Monsieur, que vous demande un misérable amant Dont vous seul aujourd'hui causez tout le tourment; Je vous conjure donc d'assurer Isabelle Que , si depuis trois mois mon cœur brûle pour elle, Cet amour est sans tache, et n'a jamais pensé A rien dont son honneur ait lieu d'être offensé.
SGANARELLE.
Oui.
<yALÉRE.
Que^ ne dépendant que du choix de mon âme. Tous mes desseins étoiept de l'obtenir pour femmo^
i36 L'ÉCÔLÈ DES MARIS.
Si les destins 9 en vous qui captiyez son cœur, N'opposoient un obstacle à cette juste ardeur.
SGANAREILE.
Fort bien. :
VAlÈièg. Que, quoi qu'on fasse, il ne lui fiiut pas croire Que jamais ses appas sortent de ma mémoire; Que, quelque arrêt des deux qu'il me faille subir, Mon sort est de Paimer jusqu'au demi»:' soupir; Et que, si quelque cbose étouffe mes poursuites, C'est le juste respect que j'ai pour vos mérites.
SGAITARELLE.
C est parler sagement; et je yais de ce pas Lui faire ce discours qui ne la choque pas : Mais, si vous me croyez , tâchez de faire en sorte Que de votre cerveau céttfe passîoil sorte: Adieu,
ERGASTE, à Valèrç,
La dupe est boiinë.
SCÈNE ,X.
sganarelLe.
« ■ T ' * •
' '' ' . . '
Il nie fait grand'pitié. Ce pauvre malheureux tout rempli d'amitié ; Mais c'est un mal pour lui de ç'être mis en tête De vouloir prendre un fort qui se voit ma conquête.
,( Sganarelle hçurte à sa porte. ) .
ACTE II, SCÈNE XL t^
SCÈNE XL SGANARELLE, ISABELLE.
t •
SGANARELLE.
Jamais amant n'a faît tant de trouble éclater ,
Au poulet renvoyé sans le décacheter :
Il perd toute espérance enfin , et se retire.
Mais il m'a tendrement conjuré de te dire
« Que du moins en t'aimant il n'a jamais pensé
« A riei; dont ton honneur ait lieu d^être offensé;
« Et que^ ne dépendant que du choix de son âme,
(c Tous ses désirs étoient de t'obtenir pour femme ^
« Si les destins, en moi qui captive ton cœur, ^
« N'opposoient un obstacle à cette juste ardeur;
« Que 5 quoi qu'on puisse faire, il ne te faut pas croire
« Que jamais tes appas sortent de sa mémoire;
« Que, quelque arrêt des cieux qu'il lui faille subir,
« Son sort est de f aimer jusqu'au dernier soupir;
« Et que, si quelque chose étouffe sa poursuite,
« C est le juste respect qu'il a pour mon mérite. »
Ce sont ses propres mots; et, loin de le blâmer,
Je le trouve honnête homme, et le plains de t'aimer.
ISABELLE, bas.
Ses feux ne trompent point ûia secrète croyance, Et toujours ses; regards m'en ont dit l'innocence.
SGANARBLLE.
Que dis-tu?
i38 L'ÉCOLE DES MARIS.
ISABELLE.
Qu il m'est dur que vous plaigniez si fort Un homme que je hàxÈ i Fégal dé k môrt^ Et que, si vous m'aimiez autant que vous le dites ^ Vous sentiriez Fa&ont que me font ses poursuites.
SGANARELLE. ,
Mais il ne savoit pas tes inclinations ; Et , par l'honnêteté de ses intentions J^ Son amour ne mérite. . .
ISABELLE,
Est-ce les avoir bôtines , Dites-moi, de vouloir enlever les personnes? Est-ce être homme d'honneur de fonaer des dessein» Pour m'épouser de force en m'ôtant de vos mains? Gomme si j'étois fille à supporter la vie Après qu'on m'auroit îàit une telle infsimie.
SGAKARELLE.
Comment?
ISABELLE.
Oui, oui; j'ai su que ce traître damant Parle de m'obtenir par un enlèvement; Et j'ignore, pour moi, les pratiques secrètes Qui l'ont instruit sitôt du dessein que vous faites De me donner la main dans huit jours au pins tard, Puisque ce n'est que d'hier que vous m'en fltes part : Mais il veut prévenir, dit-on , cette journée Qui doit à votre sort unir ma destinée.
ACTE II, SCÊME XL i3i)
Voilà qui ne vaut rien.
Oh que pardonnez^moi ! Cest on fort hùonéit homme, et qui ne sent pour moi. • .
SGAMARSLLS.
II a tort ; et ceci passe la raillerie.
ISABELLE.
Allez, votre douceur entretient sa folie;
S'il TOUS eût vu tantôt lui parler vertement,
II craindroit vos transports et mon ressentiment ;=
Car c^est encor depuis sa lettre méprisée
Qu'il a dit ce dessein qui m^a scandalisée;
Et^on amour conserve, ainsi que je l'ai su,
La croyance qu'il'est dans mon coeur bien reçu,
Que je fuis votre hymen , quoi que le monde en croi/e ,
Et me verrois tirer de vos mains avec joie. •
SGARARELLB.
II est fou.
ISABELLE.
Devant vous il sait se déguiser; Et son intention est de vous amuser. Croyez , par ces beaux mots , que le traître vous joue. Je suis bien malheureuse , il £tttt tpie je Favoue , Quavecque tous mes soins pour vivre dans l'honneur, Et rebuter les vœux d un lâche suborneur. Il faille être exposée aux fâcheuses surprises De yoir Êiire sur moi d 'infilmes entreprises I
1 /
î4o L'ÉCOLE DES MARIS.
SGANAREtLB.
Va , ne redoute rien.
ISABELLE.
Pour moi, je vous le di , Si vous n'éclatez fort contre un trait si hardi, Et ne trouvez bientôt moyen de me défaire Des persécutions d'un pareil téméraire , J'abandonnerai tout, et renonce i lennui De souffirir les affironts que je reçois de lui.
. S6AKARELLE.
Ne t'afflige point tant; va, ma petite femme, Je m'en vais le trouver, et lui chanter sa gamme.
ISABELLE.
Dites-lui bien au moins qu'il le niroit en vain, Que c est de bonne part qu'on m'a dit son dessein; Et qu'après cet avis, quoi qu'il puisse entreprendre,. J ose le défier de me pouvoir surprendre ; Enfin que, sans plus perdre et soupirs et moments. Il doit savoir pour vous quels sont mes sentiments, Et que, si d'un mall^eur il ne veut être cause, Il ne se fasse pas deux fois dire une chose.
SGAlNfARELLE.
Je dirai ce qu'il faut.
ISABELLE.
I
Mais tout cela d un ton Qui marque que mon cœur lui parlé tout de bon.
SGANARELLE.
Va, je n oublîrai rien, je t'en donne assurance.
ACTE II, SCÈNE XI. i4i
I ISABELLE.
^attends votre retour avec impatience; Hàtez-le 5 s'il vous plaît, de tout votre pouvoir : Je languis cjuand je suis un moment sans vous voir.
SGANARELLE.
Va , pouponne , mon cœur, je reviens tout à l'heure.
SCÈNE XII.
SGANARELLE.
EsT-iL une personne et plus sage et meilleure?
Ah! que je suis heureux! et que j'ai de plaisir
De trouver une femme au gré de mon désir!
Oui, voilà comme il faut que les femmes soient faites;
Et non, comme j'en sais, de ces franches coquettes
Qui s'en laissent conter, et font dans tout Paris
Montrer au bout du doigt leurs honnêtes maris.
( Il frappe à la porte de Valère. )
Holà, notre galant aux belles entreprises.
SCÈNE XIII.
VALÈRE, SGANARELLE, ERGASTE.
VALÉRE.
Monsieur^ qui vous ramène en ces lieux?
SGANARELLE.
Vos sottise^*
VALÈRE.
Gomment?
i4a UÉCOLE DES MARIS.
SaABrARELLE.
Vons sarez bien de quoi je veux parler. Je vous croyoifi |Jiis sage , a ne yons rien celer. Vous venez m'amnser de vos belles paroles , Et conservez sous main des espérances folles. Voyez-vous, j^ai voulu doucement vous traiter; Mais vous m obligerez à la fin d'éclater. N avez-vous point de honte, étant ce ^e vous êtes. De faire en votre esprit les projets que vous faites, De prétendre enlever une fiUe d'honneur, Et troubler un hymen qui fait tout son bonheur?
VALÈRE.
Qui vous a dit, monsieur, cette étrange nouvelle?
SGANARELLE.
Ne dissimulons point, je la tiens d'Isabelle, Qui vous mande par moi, pour la dernière fois. Qu'elle vous a fait voir assez quel est son choix; Que son cœur^ tout à moi, d'un tel projet s^offense; Qu elle mourroit plutôt qu'en souffirir l'insolence; Et que vous causerez de terribles éclats , Si vous ne mettez fin à tout cet embarras.
VALÈRE.
S'il est vrai qu'elle ait dit ce que je viens d'entendre, . J'avoûrai que mes feux n'ont plus rien à prétendre ; Par ces mots assez clairs je vois tout terminé, Et je dois révérer l'arrêt qu'elle a donné.
SGANARELLE.
Si. . . Vous en doutez donc, et prenez pour des feintes
ACTE II, SCÈNE XIII. 143
Tout ce que de sa part je wjoub ai fitU de plaintes? Voulez-ycras <pi elle-même elle explique sob cœur? Ty consens yolontiers pour vous tirer d'erreur. Suiyez-moi, vous verrez s il est rien que jWance^ Et si son jeune cœur entre nous deux balance.
( U Ta frapper à sa porte» )
SCÈPTE XIV.
ISABELLE, SGANARELLE, VALÈRE, ERGASTE^
ISABBLI.E.
Quoi! vous me Famenez ! quel est votre dessein? Prenez-vous contre moi ses intérâts en main ? Et voulez-vous, charmé de ses rares mérites , RTobliger à Faimer, et souffirir ises visites?
/ : S6AKARELIE.
Non, ma mie, et ton cœur pour cela m est trop cher : Mais il prend mes avis pour des contes en Fair , Croit que c'est moi qui parle, et te fais, par adresse, Pleine pour lui de haine, et pour moi de tendresse; Et par toi-même enfin j'ai voulu sans retour Le tirer d une erreur qui nourrit 4Son amour.
ISABELLE, àYaUre.
Quoi! mon âme à vos yeux ne se montre pas toute , Et de mes vœux encor vous pouvez être en doute?
VALiRE.
Oii, tout ce que monsieur de votre part m'a dit, Madame , a Uen pouvoir de surprendre un esprit : J'ai douté, je l'avoue, et cet arrêt suprême
i44 L'ÉCOLE DES MARIS*
Qui décide du sort de mon amour extrême Doit m*étre assez touchant pour ne pas sWenser Que mon cœur par deux fois le fisse prononcer^
ISA3ELLB.
Non , non y un tel arrêt ne doit pas tous surprendre :
Ce sont mes sentiments qu^il vous a &it entendre;
Et je les tiens fondés sur assez d'équité
Pour en £dre éclater toute la vérité.
Oui , je yeux bien qu'on sache , et j en dois être crue,
Que le sort offire ici deux objets à ma rue ,
Qui, m'inspirant pour eux différents sentiments,
De mon cœur agité font tous les mouvements.
L^un, par un juste choix où Thonneur m^intéresse,
A toute mon estime et foute ma tendresse;
Et l'autre, pour le prix de son affection,
A toute ma colère et mon aversion.
La présence de lun m'est agréable et chère,
J'en reçois dans mon âme une allégresse entière;
Et lautre , par sa vue , inspire dans mon cœur
De secrets mouvements et de haine et d^horreur.
Me voir femme de lim est toute mon envie ;
Et, plutôt qu'être k l'autre , on.m'ôteroit la vie.
Mais c'est assez montrer mes justes sentiments,
Et trop long-temps languir dans ces rudes tourments
Il faut que ce que j'aime, usant de diligence.
Fasse à ce que je hais perdre toute espérance,
Et qu'un heureux hymen affiranchisse mon sort
D^un supphce pour moi plus affireux que la morte
ACTE II, SCÈNE XIV. i45
SGANARELLB«
Oui, mignonne, je songe à remplir ton^itt^te.
ISABELLE.
C'est Panique moyen de .me rendre contente.
SGANARELLB.
Tu le seras dans peu.
ISABELLE.
Je sais qu'il est honteux Aux filles d'expliquer si librement leurs yoeux.
SGAyARELLE.
Point, point.
ISABELLE.
Mais, en Tétat où sont mes destinées, Be telles libertés doivent m*êtré données ; Et je puis sans rougir faire un aveu si doux A celui que déjà je regarde en époux.
sganarëI^le.
Oui, ma pauvre &n&n , pouponi^e de mon âme.
ISABELLE.
Qu'il songe donc, de grâce, à me prouver sa flamme.
SGANARELLE.
Oui, tiens^ baise ma main.
ISABELLE.
Que sans plus de soupirs Il conclue uti hymen qui- fait tous mies désirs,
Moi.iàiiB. a. ■ lo
/
t46 L'ÉCOLE DES MARlâ.
Et reçoive en ce liea la fin que je loi donne De n^écooter jainab ks vcettx dPaidve personiM*
(Elle £ut semblant d'embiasser Sçanarelley et donne m main à
baiser k Yalère. )
SGANAEELLE.
Hai, hai, mon petit nez , panvre petit bonchon,
Ta ne langniias pas long-temps, je t*en répond.
Va, cbnt.
(à^Valèw.)' YposleToyeK, jenelni&ispasdire, '
Ce n'est qn'après moi senl cjne son âme respire.
YALÂRE.
Hé bien I madame, bë bien! c'est s'expliquer assez : Je vois par ce discours de quoi voos me juressez; Et je saurai dfins peu vous ôter la présence De celui qui vous fait si grande violence. .
ISABELLE.
Vous ne me sauriez faire .un plus charmant plaisir; Car enfin cette vue est fâcheuse à souffrir. Elle m'est odieuse; et Thorréur est si forte. . .
SGANARELLE.
Hé! hé!
ISABELLE.
• * '
Vous offensé- je en parlant de la sorte ? Fais-je, . . ....:'.
iî^ SOAKARELLE.
Mon Dieu ) nenni , ijë âe dii» pas èeb r
i .• '
• «
. Il
ACTE II, SCÈNE XIV. [f/iy
Mais je plains, sans mentH'^ FétatiMi le yoilà;
Et c'est trop haateménd que ta baîxie.se) montie^ ) : -i :u\
Je n en puis CMip mantrec.ei^ parejlié réi^èofitre; . .'. '
'''>.', j . VA tiEiRB*. .
Oui , vous serez contente ; jet, dans trois jours , vos yeux Ne verront plus l'objet qi^ vous est odieux. • .., . ' . /ï
A la bonne heiàe» Âdièuvi . : :: i.. .;.: r s l
. . ls>tA:BAA'fiLL£.'àValeffl.i: '';'.,> 'T.
. ': : ' Je plaioâ.YQti'etiB&KtiiiiQ :
Mais... .-M.ï^:.: /.::.
VAIÈRB.
Non, vous n^eateOidreEjdB noBcœur plainteaucune :
I^dame assaién)éol} iJomi îttslSb^ i
Et je vais travailler ArCif ntenter ses v«eux.
Adieu. !; . ,' 'j 1.1 'j> r; iii". >>! :;; : .• ''•».'
SGANARELLE.
Pauvre garçon! sa douleur est extrême. Venez, embrassez-moi , c^est un autre elle-même.
SCÈNE XV.
ISABELLE, SGANARELLE.
SGAIÏAAELLE*
Je le tiens fort à plaindre.
ISABELLE.
I
Allez, il ne lest point.
i48 L'ÉCOLE DES MARIS.
SGANARELLE.
AU reste y ton amour me touche au dernier point, Mignonnette , et je veux qu il ait sa récompense : C'est trop que de huit jours pour ton impatience; Dès demain je t'épouse, et n'y veux appeler* . •
ISABELLE.
Dès demain?
SGANA&SLLE.
Par pudeur tu feins d'j recaler : Mais je sais bien la joie où ce discours te jette , Et tu youdrois déji que la chose fût fitite.
ISABELLE.
Mais. . . f
SGANARELLE*
Pour ce mariage allons tout préparer.
ISABELLE, àpart..
O ciel, inspirez-moi ce qui peut le parer!
FIN DU S£Ct)KD ACtB.
L'ÉCOLE DES MARIS. 149
'■i»^*»«»^'>^i*^'^»i<i»^i^^*<
ACTE TROISIÈME.
SCÈNE I.
ISABELLE.
(jvtj le trépas cent fois me semble moins à craindre Que cet hymen fiital où l'on veut me contraindre ; Et tout ce que je £aiis pour en fuir les rigueurs Doit trouver quelque grflce auprès de mes censeurs» * Le temps presse, il £dt nuit; allons , sans crainte aucune , A la foi d^un amant commettre ma fortune.
SCÈNE IL
-•
SGANARELLE, ISABELLE.
SGANA'RELLB^ parlante ceux ^ui sont dans sa maison.
Je reviens , et Ton va pour demain de ma part.
ISABELLE.
Ociel!
SGANAREiLLE.
C'est toi, mignonne 1 Où vas-tu donc si lard? Tu disois qu en ta chambre , étant un peu lassée , Tu t'allois renfermer lorsque je t'ai laissée ; Et tu m avois prié même que mon retour Ty souffrit en repos jusques à demain, jour.
i5o UÊCOLE DES MAHIS,
Il est vrai; mais...
SGAlîARBLtB. ...
Hé quoi?
ISABELLE.
Vous me voyez confuse, Et je ne sais comment vous en dire l'excuse.
SGANARELLE.
Quoi donc? que pourroittoe êtve?
isabeli;e.
Un secret surpvâiaiit : G est ma sœur qui m'obUge k sortir maintenant ^ Et qiû^ pour un dosseiin dont je Pai fort blâmée, M'a demandé mu ckambro, où je Fai renfermée^ :
SGANARELLE.
Comment?
ISABELLE.
Ueût-on pu croire? Elle aim^ç cet ax^c^t Que nous ayons ban^ui.
SGARAHELLE.
Valère.
' ISABELLE.
ÉperdAment. C'est un transport si grand , qu'il n^en est point de même; Et vous pouvez juger de sa puissance extrême, Puisque seule, à cette heure, elle est venue ici Me découvrir i mpi son amoureux souci.
ACTE III, 3CÈNE IL. i&\
Me dire ahsotument qu'elle perdra la vie , Si son âme n^'obtient Feffet de son envie; Que depuis plus d'un an d assez vives ardeurs Dans un secret commerce entretenoient leurs cœurs ; Et que même ils s'ëtoient, leur flamme étant nouvelle, Donné de s'épouser une foi mutuelle. . .
SGAIÏARELLE.
La vilaine!.
ISABBLL£..
Qu'ayant appris le désespoir Où j'ai précipité celui qu'elle aime à voir, Elle vient me prier de soufirît que sa flamme Puisse rompre un départ qui lui perceroit Tâme; Entretenir ce soir cet amant^SQUs mon nom Par la petite rue où ma chambre répond; Lui peindre, d'une voix qui contrefait la mienne. Quelques doux sentiments dont lappât le retienne. Et ménager enfin pour elle adroitement Ce que pour moi Ton sait qu'il a d'attachement.
ÇGANARELLE.
Et tu trouves cela. . .
4
ISABELLE.
Moi? j'en suis courroucée. Quoi! ma sœur, ai-je dit, êtes-vous insensée? Ne rougissez-vous point d'avoir pris tant d'amour Pour ces sortes de gens qui changent chaque jour. D'oublier votre sexe, et tromper l'espérance D un homme dont le ciel vous clonnoit lalliauce?
i5a L'ËCOLE DES MAR1&
SGANARSLLE.
Il le mérite bien ; et j'e^ suis fort ravi.
ISABE)r.XE.
Enfin de cent raisons mon d^pit s est servi Pour lui bien reprocher des bassesses si grandes , Et pouvoir cette nuit rejeter ses demandes : Maïs elle ma fait voir de si pressants désirs, Â tant versé de pleurs y tant poussé de soupirs y Tant dit qu^au désespoir je porterois son âme , Si je lui refusois ce qu'exige sa flammq, Qu a céder malgré moi mon cceur s'est vu réduit; Et , pour justifier cette intrigue de nuit , Oii me Ëiisoit du sang relâcher la tendresse, Gallois Élire avec moi venir coucher Lucrèce, Dont vous me vaqtez tant le» vertus chaque jour : Mais vous m'avez surprise avec ce*prompt retour.
SGÀNÀKELi:.E,
Non , non , je ne veux point chez moi tout ce mystère. J'y pourrois consentir à Tégard de mon firère : Mais on peut être vu de quelqu'un du dehors ; lEt celle que je dois honorer de mon corps Non-seulement doit être et pudique et bien née, 11 ne faut pgs que même elle soit soupçonnée. Allons chasser Tinfâme; et de sa passion. . •
Âh ! vous lui dopnçriez trop de confusion ; Et c'est avec raison qu'elle pourroît se plaindre Du peu de retenue où j'ai su me contraindre ;
ACTE III, SCÈNE IL |53
Pulsqae de son dessein je dois me départir, Attendez que du moins je la &sse -sortir. .
SGAirAREI.LE.
Hé bien liais.
ISABELLE.
Mais surtout cachez- vous, je voQ5 prie, Et, sans lui dire rien , daignez voir sa sortie.
SOANARELLE.
Oui, ponr Famour de toi je retiens mes transports : Mais, dès le même instant qu'elle sera dehors. Je veux, sans difiGerer, aller trouver mon frère : J'aurai joie à courir lui dire cette afiaire.
ISABELLE.
Je vous conjure donc de ne me point nommer. Bonsoir; car tout d'un temp je vais me renfermer.
S6ANARELLE, senl.
Jusqu'à demain-, ma mie. • . En quelle impatience Suis-je de voir mon frère , et lui conter sa chance ! II en tient, le bon homme, avec tout son phébus. Et je n'en voudrois pas tenir cent bons écus.
ISABELLE, dans la maison.
Oui, de vos déplaisirs l'atteinte m'est sensible : Mais ce que vous voulez, ma sœur, m'est impossible; Mon hpuneur, qui m'est cher, y court trop de hasard. Adieu. Retirez-vous avant qu'il soit plus tard.
SGANARELLE.
La voilà qui, je crois, peste de belle sorte : De peur qu elle revint, fermons à clef la porte.
1^ L.'ÊCOL£ DES MARIS.
I S AB E LL E y en sortant»
O ciel, dans mes desseins ne m^abandiomeâ pas !
SGArUARSLLE, àpart.
Où ponrra-t-elle aUer? Suivons un peu ses pas.
ISABELLE, àpart.
Dans mon trouble du moins la nuit me favorise.
SGANARBLLE, à part.
Âu logis du galant! Quelle est son entreprise?
SCÈNE III;
VALÊRE, ISABELLE, SGANARELLE,
VA L È R E , sortant brusquement^
Oui, oui, je veux tenter quelque effort cette nuit Pour parler.. . Qui va là?
ISABELLE, àYalère.
Ne faites point de bruit, Valère; on vous prévient, et je suis Isabelle.
SGANARELLE.
Vous en avez menti, chienne^ ce n^est pas eUe. De l'honneur que tu fuis elle suit trop les lois ; Et tu prends £iussement et son nom et sa voix«
ISABELLE, àYalère.
Mais à moins de vous voir par un saint hyménée. . .
VALERE.
Oui, cest l'unique but ou tend ma destinée; Et je vous donne ici ma foi que dès demain Je vais où vous voudrez recevoir votre main.
ACTE III, SCÈNE III. i55
8GANARELLB,2i part. "
Pauvre sot qui s'abasêî ^ .
VALlRBi
Entrez en assurance : De votre Argus dupe je brave la puissance; Et, devant qu'il vous pût ôter â mou ardeur, Mon bras de mille coups lui percer oit le cœur.
SCÈNE IV.
SGANARELLE,
Ah! je te promets bien que je n'ai pa$ CQvie De te Tôter , Finfâme à tes feux asservie , Que du don de ta foi je ne suis point jaloux, Et que, si j^en suis cru, tu seras son époux. Oui, faisons-le surprendre avec cette effrontée 5 La mémoire du père à bon droit respectée , Jointe au grand intérêt que je prends à la sœur, Veut que du moins Ton tâche à lui rendre l'honneur. Holà.
( Il frappe à la porte d un commissaire. )
SCÈNE V.
SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE. UN LAQIJAiS AVEC UN flambeau.
le commissaire. Qu'est-ce?
sganarelle. Salut, monsieur le commissaire.
1^6 L'ËCOLEDES MARIS.
Votre présence en robe est ici nécessaire; Suiyez-moi, s'il vous platt, avec votre clarté.
LJS COMMISSAIRE^
Nous^ sortions...
SGAKARSLLB.
n s'agit d'un £iit assez hâté.
LE COMMISSAIRE.
Quoi?
SGANÂRELLS,
D^aller là-dedans , et d'y surprendre ensemble Deux personnes qu'il &ut quW bon hymen assemble; C^est une fille à nous, que, sous un don de foi, Un Valëre a séduite et fait entrer chez soi. Elle sort de &mille et noble et vertueuse, Mais. . .
LE COMMISSAIRE.
Si c'est pour cela , la rencontre est heureuse , Puisqu'ici nous avons un notaire.
SGANARELLE,
Monsieur?
LE NOTAIRE.
Oui, notaire royal,
LE COMMISSAIRE.'
De plus, homme d'honneur.
SGANARELLE.
Cela S en va sans dire. Entrez dans cette porte, Et sans bruit ayez Fœil que personne n'en sorte :
ACTE III, SCÈNE V. 167
Vous serez pleinement contentés de vos soins; Mais ne vous laissez pas graisser la pâte, an moins*
LE COMMISSAIRE.
Comment! Vous crojez donc cpi'un homme de justice. • •
SGAITARELLE.
Ce que j'en dis n'est pas pour taxer votre office. Je vais £àire venir mon firère promptement : Faites que le flambeau m'éclaire seulement.
( à part. )
Je vais le réjouir cet homme sans colère. Holà.
( Il frappe à la porte &*Ariste. )
SCÈNE VI.
ARISTE, SGANARELLE.
ARISTE.
Qui frappe? Ah! ah! que voulez-vous, mon frère?
SGAMARELLE.
Venez , beau directeur, suranné damoiseau, On veut vous faire voir quelque chose de beau.
ARISTE.
Comment?
SGANARBLLE.
Je vous apporte une bonne nouvelle.
ARISTE.
Quoi?
SGAKARELLE.
Votre Léonor, où, je vous prie , est-elle?
*^ L'^ÇQtB DES MARIS.
Pourqi»QÎ:celtç (Jemand^? Elle est, coIl^ae je ^pi ,
Au bal chez son amie, .
• • ■ '4 ■ » . ■
...m! S^rXBïAREHrE.
Hé I oui 5 oui ; suivez-moi , Vous verrez à queljb^l la donzelle est allée.
ARISTE,
Que voulez-vous conter?
SGANARELLE.
Voug lavez bieii Stylée : 11 n'est pas bon de vivre en sévère censeur ;
On gagne les espîts pai* beaucoup de douceur;
Et les soins défiante, 1^ verrous et les grilles,
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles;
Nous les portons au ïnal par tâiït d'aiistérité,
Et leur sexe demande un peu de. liberté.
Yrainiesit elle en jbl .pif i& tout 3oîq ftoAl ,' la rusée ;
Et la vertu chez elle eatifort humanisée.
Où veut donc ibtotJir.liiipai^e&tr^içii? .
SGA|r^I|fi$.LE.
Allez , mon frère aîné , cela vous sied fort bien ; Et je ne voudroîs pas.,,pQji|r:yingjt bonnes pistoles, Que vous.iiensskZfCe fruit de vos m^2ËJl>iaQS ailles : On voit ce qu'en deux sœurs JlOi? leçons ont produit; , L'une fuit les galants , et l'autre les poursuit. '
Si vous mAbe rende? cette jénigude plWfCicCireii'O' f
A CT'E I II , S CÈNE^ V II 9S9
L énigme est ijii&sôii bal est chez monsleiir Valèrèj ' Que, de nuit, je Tai vue y conduire ses pas, Et qa a rbeurté préseivte elle est entre ses bras.
AIIISTIS. '
Qui?
SO^ANAIl£LLË.
Léonor.
ARISTE.
Cessons de railler, je vous prie.
SGAT?ARELXE.
Je raille. . • Il est fort- bén àvèc sa raillerie !
< • • • •
Pauvre esprit! Je tous dis, et vous redis eûcor Que Valère cfcei hii tient votre Léohpr, Et ^'ils s^étoiênt promis une foi muluelle Avant qull eût songé dèr poursuivre Isabelle.
■ • • •* - AkiSISE.
Ce discours d'appariencè est si fiart dépourvu. . .
sganaréAle. n ne le croira pas éùcore en Vayântvu : J'enrage. Par ma foi , Tâge rie sert de guère . ' • ' Quand on n a pas cela. • *
( Il met le doigt sur son front. )
. ARISTE.
^ Qiioil vouka-voasj mpîï frèw.'.-?
SGANARELLE.
Mon Dieu! je ne veux rien. Suivez-moi seulement; Votre esprit tout à l'heure aura contentement;
i«o L'ÉCOLE DES MARIS.
Vous verrez si jlmpose, et si leur foi donnfc
N 'avoit pas joint leurs cœurs depuis j^us d^une année.
A&ISTE.
L'apparence qu^ainsi, sans m'en £iire avertir,
A cet engagement elle eût pu consentir?
Moi y qui dans toute chose ai, depuis son enfance,
Montré toujours pour elle entière complaisance,
Et qui cent fois ai fait des protestations
De ne jamais gêner ses inclioations!
SGAICARELLE.
Enfin VOS propres yeux jugeront de Tafiaire. J'ai fait venir déjà commissaire et notaire : Nous avons intérêt que l'hymen prétendu Répare sur-le-champ l'honneur qu elle a perdu; Car je ne pense pas que vous soyez si lâche De vouloir l'épouser avecque cette tache. Si vous n'avez encor quelques raisonnements Pour vous mettre au-dessus de tous les bemements.
AKISTE.
Moi? Je n'aurai jamais cette foiblesse extrême De vouloir posséder un cœur malgré lui-même. Mais je ne saurois croire enfin. . .
SGANAAELLE.
Que de discours? Allons, ce prçcès-là continûroit toujours.
J
ACTE III, SCÈNE VII. i6i
SCÈNE VIL
UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE, SGANARELLE,
ARJSTE.
LB COMMISSAIRE.
Il ne faut mettre ici nulle force en usage,
Messieurs; et, si vos vœux ne vont qu^au mariage.
Vos transports en ce lieu se peuvent apaiser.
Tous deux également tendent à s^épouser}
Et Valère déjà , sur ce qui vous regarde ,
A signé que pour femme il tient celle qu^il garde.
JLRISTE.
La fille...?
LE COMMISSAIRE.
Est renfermée , et ne veut point sortir Que vos désirs aux leurs ne veuillent consentir.
SCÈNE VIII.
VALÈRE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE,
SGANARELLE, ARISTE,
VALi^RE, à la fenêtre de sa maison.
Non, messieurs; et personne ici n'aura Tentrée Que cette volonté ne m^ait été montrée. Vous savez qui je suis, et j'ai feit mon devoir En vous signant l'aveu qu'on peut vous faire voir. Si c'est votre dessein d'approuver l'alliance, Votre main put aussi m'en signer l'assurance;
MoLiàas. a. ii
i6> L'I^COLE DES MAHIS.
Sinon j £iites état de m'arracher le jour , Plutôt que de m'ôter lobjet de mon amoor.
SOAirAREI.LB« •
Non, nous ne songeons pas k yons séparer d^elle.
( bas , à part }
II ne s'est point encor détrompé d'Isabdle : P)*ofitons de Terreur.
ARISTE^àValète.
Mais est-<:e Léonor?
S<&AN AaSLLE^ k Ariste.
Taisez-YOttS.
ARISTE.
Mais...
SGAMARBLLE.
Paix donc^
ARISTE.
Je yeux sayoir. . •
SGANARELLE.
Encor? Vous tairez-yous? yous dis- je.
yALÈRE.
Enfin, quoi qu'il aviennc, Isabelle a ma foi; j^ai de même la sienne, Et ne suis point un choix, à tout examiner ;j Que yous soyez reçus à faire condamner.
A RI s X £ , k SganareUe. Ce qu'il dit là n'ei$t pa3.*.
ACTE III, SCÈNE VIII. iG3
S6ANAR£LL]&*
Taise^-YOHS , et pour caase.
(àValcre.)
Vous saurez le secret. Oui, sans dire autre chose, Nous con^ntoDS tous deux que vous soyez I epouz De celle qu'à présent on trouvera chez vous.
LE COMMISSAIRE.
Cest dans ces termes-là que la chose est conçue , Et le nom est en Uanc pour ne lavoir point vue. Signez. La fille après vous mettra tous d'accord.
VALÈRE.
Tj consens de la sorte.
SGANARELLE.
Et moi je le veux fort.
( à part. ) ( haut. )
Nous rirons bien tantôt. Là, signez donc, mon frère. L'honneur vous appartient.
ARISTE.
Mais quoi! tout ce mystère...
SGANARELLE.
Diantre! que de façons! Signez , pauvre butor.
ARISTE.
Il parle dlsabelle, et vous de Léonor.
SGANARELLE.
N êtes- vous pas d'accord 9 mon frère , si c'est elle , De les laisser tous deux à leur foi mutuelle?
ARISTB.
Sans doute.
i64 L'ÉCOLE DES MARIS.^
SGANARELLE.
Signez donc; j'en fais de même aussi.
ARISTE.
Soit. Je n'y comprends rien.
SGANARBLLE.
s Vous serez éclairci.
LE COTteMISSAIRE.
Nous allons revenir.
SGANARELLE, à Ariste.
Or çà y je vais vous dire La fin de cette intrigue.
^Ils se retirent dans le fond du théAtre. )
SCÈNE IX.
LÉONOR, SGANARELLE, ARISTE, LISETTE.
LÉONOR.
O L ÉTRANGE martyre! Que tous ces jeunes fous me paroissent fâcheux? Je me suis dérobée au bal pour l'amour d'eux.
LISETTE.
Chacun d'eux près de vous veut se rendre ag-iable.
LÉONOR.
Et moi, je n'ai rien vu de plus insupportable; Et je préférerois le plus simple entretien A tous les contes bleus de ces diseurs de rien. Us croient que tout cède à leur perruque blonde, Et pensent avoir dit le meilleur mot du monde,
\
k
ACTE III, SCÈNE IX. i65
Lorsqu'ils Tiennent, d'un ton de mauvais goguenard , Vous railler sottement sur Famour d'un vieillard ; Et moi, d'un tel vieillard je prise plus le zèle Que tous les beaux transports d'une jeune cervelle. Mais n'aperçois-je pas. . . ?
5GAN ARELLE, à Ariste.
Oui^ lafiaire est ainsi.
( Aper<;eyant Léonor. )
Ah ! je la vois paroitre , et sa suivante aussi.
ARISTE.
Élénor, sans courroux, j'ai sujet de me plaindre. Vous savez si jamais j'ai voulu vous contraindre. Et si plus de cent fois je n^ai pas protesté, De laisser à vos vœux leur pleine liberté ; Cependant votre cœur, méprisant mon sujQBrage, De foi comme d amour à mon insu s* ngage. Je ne me repens pas de mon doux traitement : Mais votre procédé me touche assurément; Et c'est une action que n'a pas méritée Cette tendre amitié que je vous ai portée.
LÉONOR.
Je ne sais pas sur quoi vous tenez ce discours : Biais croyez que je suis la même que toujours. Que riep ne peut pour vous altérer mon estime^ Que toute autre amitié me paroitroit un crime, Et que, si vous voulez satisfaire mes vœux, ^n saint nœud dès demain nous unira tous deux.
iGd L'ÉCOLE DES MARIS.
ÀRISTE.
Dessus quel fondement venez-votis Jbtoc, mon frère...?
SGANARELLE.
Quoi! vous ne sortez pas Ai logis de Valère? Vous n'avez point conté vos amours aujourd'hui? £t vous ne brûlez pas depuis tn an pour lui ?
I.£OMO<R.
Qui vous a fait de moi de si belles peintures ^ Et prend soin de ferger de telles impostures ?
SCÈNE X.
ISABELLE, VALÈRE, LÉONOR, ARISTE, SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, US NOTAIRE, LISETTE, ERGASTE.
t
ISAB£IiL&.
Ma sœur, je vous demande un généreux pardon^. Si de mes libertés j'ai taché votre nom* Le pressant embarras d une surprise extrême M'a tantôt inspiré ce honteux stratagème : Votre exemple cpndamnq un tel, emportement; Mais le sort nous traita tous dcui^ diversement,
(à Sganarelle. )
Pour vous 5 5e ne veux poîjit , mon5ieur , vous faire excuse ;
Je vous sers beaucoup plus que je ne vous abuse.
Le ciel pour être joints ne nous fit pas tous deux :
Je me suis reconnue indigne de vos feux;
Et j'ai bien mieux aime me voir aux mains êî'xm autre,
Que ne pas mériter un cœur comme le vôtre, ^
AGTE Hf, SCÈNE X. 167
VALÈIIE, à Sgdtiarelle.
Pour moi, je mets ma gloire et mon bien souverain A la pouvoir; monsieur, tenir de Votre main.
ÀRISTE.
Mon frère, doucement il faut boire la .chose :
D'nne telle action vos procédés jçont cau^ ;
Et je vois votre sort malheuretu; à ce point ,
Que, vous sachant dupé, Ton ne vous plaindra point. . .
LISSTTS. ,
Par ma foi , je lui «ais bon gré de cette affaire ; Et ce prix de ses soins est un trait exemplaire.
LÉONOR.
Je ne sais si ce trait doit se faire estimer.
Mais je sais bien qu au moins je ne le puis blâmer.
ERGASTE.
Au sort d'être cocu son ascendant l'eipose';
Et ne Têtre qu'en herbe est pour lui douce chose.
SGAMARELLE, sortaQt de raccablement dans lequel il étoil
plongé.
Non, je ne puis sortir de mon étonnement. Cette ruse d'enfer confond mon jugement; Et je ne pense pas que Satan en personne Paisse être si méchant qu'une telle friponne. JTaorois pour elle au feu mis la main que voilà. Malheureux qui se fie à femme après cela ! La meilleure est toujours en malice féconde; C est un sexe engendré pour damner tout le monde*
i63 L'ÉCOLE DES MARIS. ACTE m, SCÈNE X.
Je renonce à jamais à ce sexe trompeur, Et je le donne tout au diable de bon cœur.
ERGASTi;.
Bon. \
ARISTE.
Allons tous chez moi.. Venez, seigneur Valère; Kous tâcherons demain d'apaiser, sa colère.
LISETTE, au partei^e.
Vous, si TOUS connoissez des maris Joups-garous, Envoyez-les au moins à' l'école chez nous.
FIN DE l'eCOLÈ des MARIS.
RÉFLEXIONS
' STTR
L'ÉCOLE DES MARIS.
VjETTi^ pièce, qu'on peut considërer comme l'un des chefs- d'œuvre de Molière, est une de celles où il a le moins inventé. Térence , dans les Adelphes, avoît don&é l'idée des deux sys- tèmes d'éducation , et des suites qu'ils peuvent avoir : Bocace , dans une de sesNouvelles, ' avoît parfaitement indiqué les situa- tiens du second acte : dans une comédie espagnole intitulée : uDiscRETA ENAMORADA', Cette sîtuatiou étoit devenue plus théâtrale. Enfin une mauvaise pièce de Dorimon , la Femme INDUSTRIEUSE, avoit, pour la première fois, ofifert sur la scène françoîse quelques traces de cette espèce de comique. Mais si Molière n^ pas imaginé ces situations charmantes , quel parti n'en a-t-il pas tiré ! Il a su se les approprier en les disposant d'une manière plus naturelle et plus morale , en donnant à ces situations trop libres une décence dont il n'y avoit pas encore d'exemple au théâtre. C'est ce que nous allons montrer par là comparaison entre les originaux qui viennent d'être cités , et la pièce de Molière. ,
Les Adelphes n'ont que peu de rapports Aveç l'Ecole des Makis. Déméa possède deux fils t il eh a confié un a son frère Micion, célibataire riche : il élève l'autre lui-môme. Micion, qui est aussi indulgent qu'Àriste , ne refuse rien à son pupille ,
I Troisième nouvcUe.de la troisième jaurnée du Dccamëroo.
170 RÉFLEXIONS
et cherche âfgagiier^a colifiâgfcé :Pénféft., att.aDnCmîre, exerce la plus grande sëvëiité sur le fils ddnt il s'est rëscrvé l'éduca- tion; et, comme dans la pièce de. Molière, ce dernier fait en- core plus de folies que son frère. Cette première combinaison est la seule quîa^péxtienBé k T^sence : du reste ^ p9 qe trouve dans la comédie latine aucune situation qui ressemble aux derniers actes de l'Ëcoxe des Maris. L'exposition du carac- tène de Micion a pu fournir à- Molière l'idée de ses deux pre- mièrcs scènes. C'est Micion- qui parle :
' (( Dès ma première jeunesse , j'ai mené à la yille une yie « tranquill.e et heureuse. Je n'ai point pris de. femme , ce que « dans le monde on regarde comme un très-grand bonkeur., (( Mon frère a fait toutle contraire : il s'est .consacré à la cul- « ture. dcses terre», si vécv laborieusement , avec la plus sévère (c économie : il s'est m^rié» et sa femme lui a donne deux fils, (c J'ai adopté l'aîné ; je l'ai élevé dès sa plus tendre enfance, et c< je l'ai aimé comqie s'il eût été imoi. Je mets en lui vxon bon- « heur; il est ce que j'ai de pjjis cher au monde. J'emploie (( tous nacs soins pour qu'il par.ta|[e. mes sentiments. Je. lui « donne ce. qu'il désire, j'ai pour lui beaucoup d'indulgence^
' Jam indè ab adolescentià
Ego haac clementem vitam xirbanam, atque otîum
Secntus suni : et , quod fortunatum isti putant ,
Uxorem nuDquàm habui. Ule conUn haec tDnuita :
Ruri agére Vitàm , aemper parce ac dnsiltr
Se bikfcere. U»9rein doxit i nt^ filU
Dup. Indè çgo hune najorem adoptavi mihi :
Rduxi 2i parvulo , babui , amavi pro meo :
In eo me oblecto : solum id est caruib rnihi.
lUe ut item contra me babeat , (ado sedulô.
Do , prïetennitto, non ntcesse babeo omnia
SUR L'ÉCOLE DES MARIS. tjt
«et je iK crois Jias nëcessaire qu'il' n'agisse que par mc^ « ordres. Je 1^ habitué i& ne pas each^r ces petites* fiiutes dont «les jenttes gi^ë feiit mjstère à leiivs'p^è^tàs; car ceuxquf « trompeirt teurs j^arents doitent atroir une bien ^us mauvaise «comfuîté^afis la société. ïlvauftnîeui, je- crois, contenir a les jeiraes gbn^ par la gënëi^o^skë et l'ainoiii^^propre que par « la craiirte. €ètte confite n'èSt pas celle de mon frère, et \\x\ « dépliail beaucoup. Loi^^ejelevois, ii est toujours di; raau« « vaîse humeur : Que fàites»-vous,me d^t^il, B@cion7 Peur-' « quoi gâtez-vous ainsi ce jeune homme ? pcfuriqUoi- a-^il à!Qt « maîtresses»? pourquoi aime -t- il les festrns? pourquoi lui tf fourni95e2-Veus de rargéntpoiâr toutes oe^ foKes ? pourquoi « pcrmfettè:&'^Vèùs qif il se m^tte avec tant d'élégance ?£n vérité t( vous n'entendez rien à l'éducation. Selon mot, c'est lui qui « est trcrpââr^'r il é'ëfotgne beaucoup du droit chemin. Celui- . « là se troffijte qui croit obtenir plus par la îbtce que par « l'amitié et la^ douceur. Tels sont mes principes, et f y sou-«.
Pro mea jure agere. Ppstremè , «lii cbnculùqi
Patres qux faciunt, quee fert adolescenti9,
Ea ne me celet , CQosuefeci filium : .
]9am qui mentiri aut faHere insuerït patrein , aut
Âudebît , tanto inagis àudebit cœteros.
Pudore etUberalltate Tibeiros
Rednere,' «èff